L'an dernier, la Faculté des Sciences politiques de l'Université de Lausanne organisait, en partenariat avec la Maison d'Ailleurs d'Yverdon, un colloque intitulé Entre sociétés utopiques et dérives totalitaires — Histoire et projets politiques dans la science-fiction : une approche intermédiatique. Si, comme le dit l'introduction, « le colloque est bien à l'origine de cet ouvrage, ce dernier ne se résume pas à la simple collecte des actes », en ce sens que les textes ont été remaniés à la lumière des débats qui eurent lieu alors, cette remarquable série d'essais présente toutes les caractéristiques d'une publication universitaire dans la grande tradition du genre : que les allergiques à ce type de prose se le tiennent donc pour dit, et passent leur chemin. Mais pour les amateurs, il est trop rare d'avoir entre les mains un florilège (traitant de science-fiction) d'une telle tenue académique pour ne pas d'abord s'en réjouir.
Premier constat : les dix articles présentent, à des degrés divers, un intérêt certain, et l'ensemble fait montre d'une réjouissante érudition et d'un professionnalisme sans faille (jusqu'à la réalisation matérielle de l'objet, y compris la correction orthographique !)
Second constat : deux articles seulement traitent spécifiquement de littérature. Mais tant Détournement d'utopies et pensée politique que Politiques du corps dans le cyberpunk proposent d'excellentes approches, à recommander chaudement aux lecteurs de Galaxies.
Troisième constat : avec pas moins de sept articles, le cinéma se taille ici la part du lion. Les trois études sociologiques sur les films catastrophe et post-cataclysmiques se complètent fort bien, même si l'érudition du « futur conjugué au passé antérieur » est parfois un peu lourde. Les approches spécifiques de Total Recall (superbe, mais il faut dire que la matière, fort ambiguë, s'y prête bien) et de Dark City (très bien vu, et de plus par des étudiantes) sont de grands moments de l'ouvrage. La SF comme théodicée narrative, très riche au plan philosophique, laissera un peu, pour prometteuse qu'elle soit, le lecteur sur sa faim, du moins pour ce qui est de la SF proprement dite. Seul 2069... revêt ici un caractère plus anecdotique, mais la confidentialité du film y est pour beaucoup.
Deux curiosités à relever : premièrement, tous les articles ont été écrits par des citoyens helvétiques, revendiquant (à deux exceptions près) leurs liens avec l'Université de Lausanne ; deuxièmement, tous les auteurs sont jeunes (nés entre 1959 et 1979, ils ont pour la plupart autour de la trentaine).
Un petit regret tout de même : on trouvera dans ce livre plus de multidisciplinarité que d'interdisciplinarité, les articles juxtaposant les médias plutôt que les combinant. Mais la voie montrée par cet ouvrage est la bonne : c'est exactement ce dont la SF a besoin pour entrer davantage à l'Université, et obtenir (n'en déplaise à certains), au bout du compte, une reconnaissance qui (bien souvent par sa propre faute) lui fait encore cruellement défaut.
Bruno DELLA CHIESA
Première parution : 1/6/2002 dans Galaxies 25
Mise en ligne le : 1/2/2004