Avant d'ouvrir, pour rebuter tout acheteur potentiel, une illustration (dont nous vous faisons grâce — NDRC) à l'éclairage improbable signée Mathieu Blanchin figurant un diable juché sur un monticule de crânes sur fond de cité en flammes. Ainsi s'assure-t-on que l'acheteur est bien un triste sire dans mon genre que le label SF attire comme le miel les mouches en dépit d'un prix éminemment rébarbatif — le prix d'un « Ailleurs et Demain » pour trois fois plus court qui devrait dissuader quiconque.
L'histoire ? Du gros space opera qui tache, bas du front et bourrin jusqu'à la mort. Qu'en dire ? Que dire plutôt ! Que si l'on reste septique quant à l'éventuel second degré du Starship Troopers de R. A. Heinlein et du film qui vient d'en être tiré, il en va de même ici, le talent en moins. Nikolaus Roche-Kresse se place sous le patronage d'Isaac Asimov. Sans rire ? Par respect pour Gregory Benford qui, lui, vient de produire une « sequelle » de Fondation — Fondation en péril, aux Presses de la Cité — , on s'abstiendra de toute comparaison. Tout juste notera-t-on la rareté des dialogues ainsi que leur brièveté.
Des militaires ont (encore) créé un monstre en compilant les instincts les plus agressifs du monde animal pour en faire un parfait guerrier. La bête s'évade et prolifère ; s'ensuit une fort jubilatoire partie de bouffe-tout-cru à travers la galaxie. jubilatoire pour les monstres, lassante, ô combien, pour le lecteur. Comme pour les Arachnides du film de Verhoeven, les crocs suffisent à ces monstres métamorphes pour bouffer tout l'univers. Il faut vraiment vouloir y croire. La plausibilité a du plomb dans l'aile, et pas qu'un peu. Woodman, le chef des services secrets complote contre l'empereur ; Surcol et Kinley, ses adjoints, escomptent bien le doubler ; le général Lowe et Simon Clarke, le roi des monstres, sont en fait des robots qui tirent toutes les ficelles, etc. Un deuxième tome est prévu ! ! ! Ce n'est qu'une litanie de carnages et de boucheries, explicitée d'égorgements sommaires et d'éviscérations, ponctuée de trahisons en série, scandée de grades ronflants à souhait et plus encore s'étirant au fil des pages. La plupart des « personnages » finissent assez vite sous une dent. Le niveau psychologique voisine avec celui d'un nuage de sauterelles et il n'y a quasiment pas de femmes dans ce roman. Une seule apparaît vers la fin : une truelle aurait tout aussi bien fait l'affaire.
Dans la catégorie très cher, court et bien nul, on rangera ce roman à côté de La compagnie des clones (critique in Bifrost 07). Qu'un éditeur fasse l'effort de publier de la SF devrait nous réjouir ; donner sa chance à de jeunes auteurs devrait attirer notre sympathie et je préférerais m'enthousiasmer comme pour Terminus Fomalhaut de Nicolas Bouchard (chez Encrage). L'éthique du critique ne m'y autorise toutefois pas. Il n'y a ici aucune trace du respect minimum dû au lecteur qui paie ses livres. Acheteurs, lecteurs, ne perdez ni votre argent (beaucoup, c'est cher), ni votre temps (un peu, c'est court) avec ce livre. Des critiques sont payés pour ça. Si vous tenez à mettre 150 FF dans un space opera, essayez plutôt Excession de Iain M. Banks ou l'anthologie Escales sur l'Horizon qui, pour la moitié du prix seulement, vous offrira en 612 pages un panorama de la SF française de qualité. La postérité de Homo Geneticus n'a rien d'assurée, à moins que ne s'ouvre un musée de la médiocrité littéraire. On en vient finalement à espérer qu'il s'agisse ici d'une publication à compte d'auteur, tant Homo Geneticus fait pitié.
Jean-Pierre LION
Première parution : 1/7/1998 dans Bifrost 9
Mise en ligne le : 4/11/2002