L'homme-Afrique s'éveille, l'heure du carnage a sonné !
Ils sont trois. Trois épaves échouées dans un des nombreux parcs animaliers de cette Afrique en fin de course. Trois gardes dont le rôle se limite à mesurer la déchéance des animaux qu'ils sont censés protéger, sauvegarder. Il y a Bongo, qui pue comme une charogne recuite par le soleil, qui ne parle pas, ou si peu, mais qui sourit, ça oui. Il y a Lhar, l'Allemand, imbibé du matin au soir, une outre d'alcool qui, bien que titubante, parvient encore à bander... Et il y a Dunkey, l'homme trouble au passé chirurgical. Un passé lancé à ses trousses, dont il mesure l'inexorable progression.
Et voici qu'arrive l'homme-Afrique, le tueur d'assassins qui, au loin, devine sa prochaine destination : cette Europe grise des blancs propres. Il est l'homme-rhinocéros, tout auréolé de cette étrange lueur bleutée que Bongo appelle la lumière des morts.
Préparez-vous...
Il approche.
Âgé d'une quarantaine d'années, Thierry Di Rollo est l'auteur de plusieurs dizaines de nouvelles, publiées notamment au Fleuve Noir et chez Denoël, mais aussi dans la revue Galaxies. Ses deux premiers romans, Number nine et Archeur (Encrage), ont, à cause de leur noirceur sans concession, déchaîné la critique et soulevé une virulente polémique. On dit de son oeuvre qu'elle est cruelle, dure, violente... Convenons-en : c'est en dessous de la vérité.
Avec La Lumière des morts, Thierry Di Rollo nous entraîne au coeur des ténèbres, au plus profond d'une Afrique moite et sur les franges d'une Europe aux âmes sèches et cassantes. Pour un voyage au bout de l'enfer...
Critiques
Chaque roman de Thierry Di Rollo est un cri. Au centre de ses récriminations, le système qui nous broie et nous détruit. Dans son premier roman, Number Nine, les seuls moyens d'échapper au décor glauque de centrales nucléaires déglinguées étaient la fuite et la violence. Par la suite, Archeur dénonçait un moyen atroce de résoudre le problème de la surpopulation, par le biais de guerres où la chair à canon serait constituée des prétendus rebuts de la société – du moins aux yeux de la frange privilégiée du monde économique –, c'est-à-dire principalement les chômeurs. Dans ce troisième opus, la haine de notre monde moderne ne s'est pas tarie chez Di Rollo.
Au centre de l'intrigue, plus que les personnages, l'Afrique déliquescente, qui ne se sera jamais remise de la colonisation. Dans un parc naturel, trois hommes sont chargés de protéger la faune de ce continent à la dérive, mais ils savent leur combat perdu d'avance : les animaux sont en pleine dégénérescence, le paradis que fut l'Afrique n'est plus qu'une ruine en état de décrépitude avancée. Dans ces conditions, la vie de Dunkey, résigné, et de ses deux acolytes, Lhar, Allemand alcoolique et violent, et Bongo, Africain puant, est une lente agonie qui se connaîtra son point d'orgue après l'arrivée d'un rhinocéros nimbé d'une lueur bleutée.
La seconde partie du roman est en rupture totale avec la première, et narre l'histoire de Live Linder, une shooter – entendez, une sorte de tueuse à gages – qui se lance à la poursuite d'un serial killer dans les rues d'une capitale européenne, mégalopole dont l'état n'a rien à envier à l'Afrique de Dunkey. Malgré son travail très exigeant, au centre des pensées de Live, il n'y a qu'une obsession : celle de son fils, qui fut tué sous ses yeux. Bien que les liens entre les deux histoires soient obscurs au départ, le voile se lèvera peu à peu.
L'impression laissée par ce roman est mitigée. La noirceur assumée du livre permet d'accrocher le lecteur dès la première page. On suit la lente déliquescence de l'Afrique avec malaise. Mais, peu à peu, on sent naître une impression de déjà vu qui réduit tant soit peu l'intérêt du livre. Bien sûr, il est bon de dénoncer tous les errements, mais ce roman, confronté aux précédents, s'avère conçu peu ou prou d'après la même « recette » que Number Nine ou Archeur : une noirceur et une résignation de tous les instants, avec quelques scènes très violentes et des sentiments exacerbés. Le livre semble dès lors tourner un peu à vide. C'est dommage, car on sent bien la sincérité de Di Rollo au travers de ses écrits : pour lui, l'écriture est un combat. Il est simplement regrettable qu'il diminue la portée de son message en reproduisant plus ou moins le même schéma d'un ouvrage à l'autre. Gageons-le tout de même : les lecteurs qui découvrent la plume de Di Rollo avec La lumière des morts seront pris aux tripes par ce livre. Ceux qui ont déjà lu les autres romans de l'auteur pourront quant à eux apprécier malgré tout l'ambiance du récit – Di Rollo sait à merveille dépeindre une atmosphère glauque – et sa construction bien équilibrée. Ils pourront également s'interroger sur la présence continuelle, dans l'oeuvre de l'auteur, d'animaux – symboles d'une Terre « propre » qui relève déjà du passé ? – depuis le chien de Number Nine jusqu'au rhinocéros de La lumière des morts, en passant par l'autruche d'Archeur et les hippopotames de « Hippo ! » (nouvelle publiée au Fleuve Noir dans l'anthologie Escales sur l'horizon)...
Trois épaves dans une Afrique à la dérive, où les animaux se meurent dans des parcs faussement protecteurs. Un meurtrier, un noir mystique et malodorant, un allemand alcoolique devenu un pitoyable chasseur. Trois épaves qui pourraient continuer à pourrir sur place, sous le soleil brûlant, s'il ne leur advenait un jour de croiser d'étranges rhinocéros auréolés d'une phosphorescence bleutée : la lumière des morts...
Ailleurs, en Europe, les « shooteurs », d'impitoyables chasseurs de prime, ont tous les pouvoirs, même celui de tuer des innocents si la traque l'exige. L'une d'eux va se lancer à la poursuite d'un étrange serial killer.
Les romans de Di Rollo sont noirs, étouffants et glauques. Les humains y sont moralement moches, mais ils souffrent et leur souffrance les excuse peut-être en partie. Les couples sont mal assortis et leur amour n'est qu'une illusion passagère. L'espoir n'est guère autorisé, mais la folie est peut-être une issue.
La Lumière des morts est un roman étrange, dont les deux parties ne semblent pas tout à fait achevées. Pourtant l'essentiel est là : au lecteur de combler les lacunes avec ses propres angoisses.
L'atmosphère sombre et tourmentée qui se dégage de ce récit original peut sans doute aussi bien rebuter que séduire, mais les amateurs de romans noirs seront à coup sûr conquis. La réédition de cette œuvre dans une collection aussi largement diffusée que Folio SF permettra de mieux faire reconnaître le talent de cet auteur aux univers et au style si personnels. Il le mérite !
Ne pas se fier au bleu-violet de la couverture. C'est noir, très noir, noir sur noir. Entre métiers à risques, amputations, trafics de restes humains pour familles éplorées — au bénéfice de gens bien mieux installés dans la vie que les exécutants — , oiseaux décatis lancés en l'air et qui s'écrasent au sol, mort de celle qui ne devait pas mourir, fuite au bout d'une Afrique où de derniers animaux sauvages crèvent de dégénérescence, épaves les gardiennant, sexe glauque, rhinocéros empaleur, lion mort agité telle une grenouille de laboratoire par une matraque électrique enfoncée en son fondement. Puis bateau dont le cuistot est adepte de la cuisine cannibale, migrants clandestins sur des radeaux façon Méduse, et Europe non moins déglinguée, avec shooters préposés à la justice expéditive, exécutrice poursuivie par le souvenir d'un enfant mort, par la haine et par la fort freudienne et misandrique envie de pénis, cadavres éventrés et amputés de leur nez (Allo, Sigmund ? toujours là ?), public émoustillé par une conférence sur les serial killers... On en passe, peut-être de pires. Mais sous cette avalanche de coups-de-poing se dessinent des cohérences, des échos, une histoire non explicitée mais présente et, en trois traits, un avenir familier et glaçant.
On l'a dit, c'est très noir. Fort d'angoisses tant personnelles que sociales, certes pas euphorisant, mais impressionnant : chapeau l'artiste.