Dans les Royaumes, l'esclavage est enraciné depuis toujours. Les dieux ont condamné le Peuple turquoise, et celui-ci, génération après génération, a toujours servi ses maîtres. Ainsi l'ont voulu les dieux. Ainsi le veulent les hommes.
Les hommes... Tous les hommes, ou presque. Car des rumeurs courent. On chuchote que la reine d'Harabec n'a pas le sang pur. On chuchote qu'elle s'intéresse aux esclaves, qu'elle veut les aider. Les rumeurs courent. La révolte gronde. Les dieux se réveillent.
Déchiré entre deux morales, entre deux passés, entre deux loyautés, Arekh est un homme seul. Pourtant son choix peut déterminer le destin de beaucoup.
Que faut-il pour nourrir une révolution ?
Ange est l'un des pseudonymes de deux auteurs prolixes et multiformes : Anne (née en 1966) et Gérard (né en 1964). Sons ce nom, ils ont signé le scénario de nombreuses BD depuis 1990 (dont La Geste des Chevaliers-Dragons et Bloodline avec Varanda, Némésis avec Janolle, Tower avec Gœthals), des romans de SF adulte et jeunesse (le très remarqué L'œil des dieux), et de très nombreuses traductions. Bref, Ange est un auteur complet. On le serait à moins, surtout quand comme lui, on a quatre bras, deux cœurs, quatre yeux et pour l'instant une seule paire de lunettes.
Critiques
Ce roman fait suite au Peuple turquoise, publié chez le même éditeur. Dans ce premier volume, la princesse Marikani, héritière du trône d'Harabec, a sauvé le galérien Arekh de la noyade. Mais bien vite, Arekh, Marikani et leurs compagnons sont devenus des fugitifs traqués par les assassins de l'Émir. Après de nombreuses péripéties, Marikani retrouve son palais et entame son règne, mais elle commet un crime qu'Arekh ne peut lui pardonner : elle lui ouvre les yeux...
Dans leur monde, dieux et religion sont omniprésents. La valeur principale qui régit la vie sur Tanjor est la tradition : rien ne doit jamais changer, et les prêtres de Reynes y veillent. Certains dirigeants (telle Marikani justement) sont eux-mêmes les descendants des dieux et les rituels sont nombreux pour attester de cette hérédité. À l'opposé, le peuple turquoise, méprisé de tous, est réduit à l'esclavage depuis des millénaires en vertu d'une malédiction divine. Qu'il se révolte est tout simplement impensable, sa nature d'esclave est écrite dans le ciel.
En prouvant à Arekh que les dieux n'existent pas, Marikani a volé sa magie au monde. C'est pourquoi il quitte sa Cour... et le voici revenu à sa vie d'antan : mercenaire. Mais ses actes de bravoure passés lui ont valu une notoriété certaine et, alors que le vide intérieur qui le consume le pousse une nouvelle fois à la destruction, comme jadis lorsqu'il massacra les siens, on l'engage pour défendre Salmyre, riche cité commerçante perdue au milieu du désert. Les créatures des ténèbres déferlent du Nord, refoulant devant eux des peuples qui s'attaquent aux villages et aux villes pour se bâtir un nouveau territoire. Or Salmyre ne vit que du commerce ; il lui faut à tout prix maintenir l'ordre et la paix. Au même moment, à Harabec, des esclaves tentent d'assassiner Marikani et son époux. Bientôt, la flamme de la révolte s'allume dans les yeux turquoise, à Harabec comme à Salmyre ; l'Église y répond par d'immenses bûchers. Et chaque fois qu'elle veut éviter un massacre punitif disproportionné et barbare, Marikani ne fait qu'aggraver les choses. On ne conteste pas le jugement des prêtres de Reynes...
Dans ce nouvel opus, ANne et GÉrard Guéro (Ange) poursuivent leur réflexion sur la foi, la religion et le pouvoir, tout en nous livrant un récit travaillé et riche qui refuse certaines facilités de la fantasy. La magie reste celle des dieux et des prêtres, mais n'est peut-être, après tout, qu'affaire de croyances. Les sentiments entre Arekh et Marikani demeurent aussi contradictoires qu'on pouvait s'y attendre, car les personnages possèdent une réelle épaisseur psychologique. Les auteurs ont le don d'animer un univers dont l'originalité provient plus des détails que des grandes lignes, d'autant que beaucoup nous en est encore caché. Si le rythme de l'action n'est pas aussi effréné qu'au début du premier volume, on ne s'ennuie pas une seconde, et les événements se précipitent. Vivement la suite !