«Le rire léger et haut perché qui fusa dans son dos faillit lui arracher un hurlement. Il pivota d un quart de tour afin de voir venir le danger sans cesser de surveiller les ronces.
Mais derrière lui, rien ne bougeait.
Tandis que le hibou ululait à nouveau, par deux fois, Philippe tira son poignard de chasse, se maudissant de ne pas s'être encombré d'une épée — bien qu'il commençât à soupçonner qu'elle ne lui eût guère servi.
— Qui est là ? lança-t-il. Montrez-vous !
Y avait-il une ou plusieurs créatures ? Il n'eût su le dire. Y en avait-il une, seulement ? N'était-il pas victime de quelque sorcellerie ? Tout ce qu'il avait entendu raconter sur les êtres mystérieux tenant du Diable leurs pouvoirs maléfiques et traquant les Chrétiens lui revint, accompagné d'images d'horreur variées. Démons, esprits malins, garous. gobelins, lutins, sorciers, Sarrasins même se bousculaient en lui dans un beau . désordre, s'amalgamaient pour tracer le portrait de monstres tenant de tous ou d'aucun, qu'il imaginait tapis autour de lui.
Pour le futur roi de France Philippe-Auguste, le danger adopta une forme différente, bien plus familière. »
À 40 ans, Michel Pagel a déjà derrière lui une carrière dense d'écrivain de science-fiction et de fantasy. Son roman Les Flammes de la nuit vient d'être réédité par Denoël et J'ai lu publie La Comédie inhumaine, cycle de fantastique contemporain. Il publie ici son premier roman historique.
Critiques
Qu'il n'y ait pas de malentendu : Le Roi d'Août est avant tout un roman historique ! Même s'il adopte évidemment une forme romanesque en retranscrivant des scènes et des dialogues dont l'Histoire n'a pu garder la mémoire, Michel Pagel colle au plus près aux faits rapportés par les chroniqueurs du Moyen âge pour nous relater la vie de Philippe II, roi de France de 1180 à 1223, connu sous le glorieux nom de Philippe Auguste.
Comme bien d'autres souverains, Philippe, devenu roi alors qu'il n'avait que quinze ans, dut affirmer sa suzeraineté en tenant tête à des vassaux turbulents. Un conflit avec l'oncle de sa première femme, Isabelle de Hainaut, faillit même le pousser à la répudier. Ses principaux adversaires furent les Plantagenêt – d'abord Henri II puis ses fils, dont Richard Cœur de Lion et Jean sans Terre – , avec qui il entretint de complexes relations d'amitié et de haine. Enfin, ses rapports avec la papauté furent également conflictuels, notamment en raison de son second mariage, avec Isambour de Danemark. La bataille de Bouvines, en 1214, demeure son fait d'armes le plus fameux, qui permit d'assurer la suprématie française face à l'Allemagne, l'Angleterre et la Flandre pendant quelque temps...
Par bonheur, la sécheresse de ce bref résumé est très éloignée du ton coloré et chaleureux adopté par Michel Pagel, qui situe son intrigue au beau milieu d'une soigneuse reconstitution de la vie quotidienne au Moyen âge : chasses, banquets, tournois et autres scènes hautes en couleurs animent ce récit mouvementé qui témoigne une nouvelle fois du talent de conteur de l'auteur. A l'opposé de certains historiens, Pagel s'efface derrière son personnage, préférant relater ses aventures plutôt que de commenter ses décisions ou de juger sa politique.
Mais pourquoi chroniquer ce roman dans une Encyclopédie de l'Imaginaire ? Tout simplement parce que Michel Pagel a introduit quelques éléments fantastiques pour étoffer la biographie de notre royal personnage, dévoilant ainsi une « Histoire cachée » jusqu'alors inconnue. Dès le long prologue, nous apprenons que la lignée des capétiens est issue de l'union d'Hugues Capet avec une sorte d'Ondine. Ce « péché originel » explique une partie des pouvoirs royaux – comme le pouvoir de guérison des écrouelles – et la curieuse affinité qui lie Philippe avec l'élément aquatique.
Cet aspect fantastique, qui indique l'existence d'un second monde dont nous croiserons quelques représentants, se fait discret une fois passé le prologue. Cependant, il hante constamment le roi qui, s'il cherche initialement à oublier cette ascendance jugée diabolique, finira par l'accepter, utilisant même ses quelques dons pour soigner son enfant ou pour raviver un ruisseau asséché.
Cette touche fantastique risque peut-être de déstabiliser l'amateur d'Histoire soucieux de l'exactitude du moindre détail et inversement, elle n'est sans doute pas suffisamment développée pour combler le lecteur qui affectionne la fantasy la plus éloignée possible de la réalité. Mais pour tous ceux qui apprécient les deux genres et qui en prisent la fusion – Histoire revisitée comme dans les romans de Guy Gavriel Kay, Histoire cachée comme dans La Lune et le Roi-Soleil de Vonda McIntyre... – Le Roi d'Août marquera une nouvelle forme d'intégration de la fantasy dans le domaine littéraire plus traditionnel du roman historique, et constituera un véritable plaisir de lecture.
J'ai lu et ouï dire à propos de ce Roi d'août qu'il s'agissait d'un roman historique teinté de fantastique. Restrictive autant que négative, une telle formulation semblerait dire de ce roman qu'il ne sait pas très bien où se situer. La réalité, c'est que Le Roi d'août est un incontestable et superbe roman fantastique tout autant qu'il est un roman d'une grande fidélité à l'Histoire. Comment cela est-il possible ? Explications.
Le Roi d'août nous conte l'histoire de Philippe II Auguste, roi de France, depuis son adolescence jusqu'à la célèbre bataille de Bouvines. Il nous retrace, avec une précision méticuleuse, les heurs et les malheurs du roi, la croisade à laquelle il a participé, ses démêlés avec sa famille, avec les grands feudataires, les souverains étrangers — les Plantagenêts surtout — et la papauté. Et à y regarder d'un peu plus près, Michel Pagel, en écrivain accompli, nous propose en outre plusieurs itinéraires parallèles et convergents à la fois : le parcours historique que nous venons d'évoquer ; l'histoire d'une amitié à tout le moins houleuse entre Philippe et Renaud de Dammartin, son compagnon d'enfance, dont l'importance est loin d'être négligeable dans le déroulement du récit ; les amours successives du souverain pour Isabelle, puis Agnès, et enfin Isambour, sur lesquelles plane le spectre d'une étrange créature appelée Lysamour.
Mais, au fait, que nous dit l'Histoire : « Dès le lendemain de la cérémonie (du mariage), pour des raisons mystérieuses, il (Philippe) décide de se séparer d'elle (Isambour)... » [Grand Larousse Encyclopédique en 10 vol. — tome 8ème — 1963]
Je n'ai pas interrogé Michel Pagel à ce sujet, mais quelque chose me dit que ces raisons mystérieuses de doivent pas être totalement étrangères à sa décision de s'emparer un jour de l'histoire de Philippe Auguste pour en faire un roman qui, dès son prologue de près de 40 pages, nous plonge on ne peut mieux dans le fantastique le plus débridé : Philippe ne serait autre qu'un demi humain depuis que son ancêtre Hugues Capet a copulé avec une créature non humaine. C'est cette semi-humanité qui va lui permettre de vaincre Henri II d'Angleterre. C'est cette semi-humanité qui va déclencher chez lui une sexualité des plus troubles. C'est cette semi-humanité qui va le pousser à se séparer, sitôt marié, de la belle Isambour dont la nature véritable lui permettra, plus tard, d'éviter bien des pièges et de remporter la décisive bataille de Bouvines.
S'il s'agit donc indéniablement d'un roman fantastique, il s'agit tout autant d'un roman historique, où l'Histoire se trouve complètement revisitée, mais non pas à la manière d'un Alexandre Dumas ou d'un Walter Scott qui nous corrigeaient les événements en faveur de héros plus ou moins authentiques, mais bien à celle, toute nouvelle, de ce nouveau courant initié par les Valerio Evangelisti avec son « Nostradamus » ou Juan Miguel Aguilera avec « La folie de Dieu » et dont Michel Pagel emprunte à son tour la trace.
À l'âge de 14 ans, le jeune roi Philippe Auguste se perd dans la forêt au cours d'une chasse. Il y rencontre une ondine, une fée des rivières nommée Lysamour, qui non seulement va l'initier aux plaisirs de la chair, mais en plus lui révéler sa vraie nature et pourquoi il est mystérieusement attiré par l'eau. Elle va également terroriser ce jeune chrétien, et le hanter toute sa vie...
Avec le Roi d'Août, Michel Pagel se glisse dans les failles et les ombres de l'histoire officielle et avérée de Philippe Auguste (mais si, rappelez-vous : les Croisades, Bouvines 1214...) — que du reste il respecte scrupuleusement — pour y introduire quelques créatures du Petit Peuple qui, par amour ou intérêt, ont commerce avec les humains... y compris de chair, d'où une descendance hybride pas toujours bien assumée en ces temps où la Chrétienté imposait sa foi à coups d'épée et de bûchers. De la fantasy historique délicate et subtile, sans sorciers ni dragons, où les éléments fantastiques s'entremêlent harmonieusement à la stricte réalité historique, ce qui fait qu'on en sort non seulement enchanté, mais aussi plus savant sur le règne tumultueux de Philippe Auguste et sur cette période du Moyen-Âge en général.