An 584. Khanaor, une île de l'Atlantique que l'on chercherait en vain sur une carte...
Trop longtemps asservis aux éléments, trois royaumes en viennent à s'affronter. Mervine la magicienne, souveraine d'Aquimeur, et Leuthiag, le roi barbare de Goldèbe, s'allient contre la riche Ardamance...
Le Bien affronte alors le Mal en un combat à l'issue incertaine. Mais l'apparente dualité ne dissimule-t-elle pas des lignes de fracture plus complexes ? Et si l'avenir de Khanaor reposait sur des êtres que leur différence rend plus tolérants, plus aptes à la réconciliation ?
Sigrid, la magicienne-enfant persécutée, Kurt, le charmeur de plantes, et l'Anserf, l'esprit désincarné de l'île pourraient alors devenir l'ultime espoir d'une île déchirée par la peur et par la haine. Mais parviendront-ils à temps à restaurer la paix ?
Francis Berthelot a toujours partagé sa carrière d'écrivain entre les littératures de l'imaginaire et un romanesque plus classique.
Faisant fi des barrières étroites de genre et de tous les sectarismes, acteur du mouvement de la « Nouvelle Fiction », Berthelot (Grand Prix de la Science-Fiction Française 1991 pour Rivage des intouchables) s'est très vite révélé être un créateur de mondes aussi subtils qu'envoûtants.
Critiques
Parce que les rivières s'épuisent, la reine magicienne d'Aquimeur, Mervine, doit sacrifier des mages d'Ardamance. Parce que les collecteurs de neige de lave d'Ardamance prennent son pays à la gorge, Leuthiag, le roi de Goldèbe, s'allie à elle. Parce que la populace a peur, elle tente d'immoler Norenn qui ne fait pourtant que soigner les gens autour d'elle. Sigrid, sa petite-fille, Kurt, le charmeur de plantes enrôlé malgré lui, Raïleh, Judith, l'Ancerf, Orchale et son père, seront entraînés malgré eux par ce destin impitoyable vers lequel les mène la plume de Francis Berthelot. Mais la désespérance bientôt s'estompe. Khanaor sera-t-elle finalement sauvée ?
Les éditions Imaginaires Sans Frontières ont eu l'excellente idée de rééditer ce roman d'heroic fantasy devenu introuvable. Une histoire passionnante racontée avec talent par un barde des temps modernes. Des personnages forts qui luttent contre leurs sentiments ou s'y livrent avec passion, et pourtant conservent une grande pudeur, comme une fêlure masquée par les ors de l'écriture. Il faut se laisser porter par le récit au cœur de cette île atlante, surtout ne pas chercher à en percer les secrets, mais, tel l'Ancerf, épouser Khanaor, ses vies, ses magies d'eau et de feu.
Lucie CHENU Première parution : 12/3/2004 nooSFere
Khanaor est une île de l'Atlantique « assez éloignée des continents pour jouir d'un isolement farouche », pour n'avoir aucun contact avec la chrétienté, pour que les sociétés de Khanaor ne ressemblent à aucune autre et pour que les drames qui s'y déroulent soient intemporels – au point que l'on se demande pourquoi l'auteur a pris la peine de préciser la date (584 ap. JC).
Khanaor est divisée en quatre régions distinctes, dont les ressources, les richesses, les cultes, les coutumes diffèrent totalement. La famine qui accable l'Aquimeur pousse la reine Mervine à s'allier au roi de la Goldèbe contre leur riche voisine, l'Ardamance. Le sang solaire, obtenu en tuant quatre des dix mages ardamans, pourrait en effet réactiver les sources du pays...
Khanaor est paru pour la première fois en 1983 aux éditions Temps Futurs, en deux tomes poétiquement baptisés Soltice de fer et Equinoxe de cendre. Si l'intrigue résumée ci-dessus peut désormais paraître banale, il faut souligner qu'au début des années 80, la fantasy francophone était quasi inexistante. On peut même affirmer que Berthelot fait figure de précurseur en France, d'autant plus que son roman ne doit rien aux œuvres anglo-saxonnes.
Avec le recul et malgré la forte production en fantasy – de valeur très inégale – la relecture de Khanaor montre que ce roman a conservé toute sa force et son originalité.
En effet, nombreuses sont les œuvres récentes dont les principales qualités consistent en une extrême « lisibilité » et un style « clair et simple » – adjectifs qui ne dissimulent que leur platitude. Le lecteur habitué à ces romans insipides et inodores risque d'éprouver un choc en abordant ce roman. Car l'écriture de Berthelot n'est pas seulement celle d'un conteur, c'est aussi celle d'un styliste qui s'attache à la forme autant qu'au fond. La lecture en devient exigeante, car elle nécessite une attention soutenue là où, chez d'autres, on peut facilement sauter un chapitre sans perdre le fil du récit. Les descriptions riches, chatoyantes et pénétrantes, mais jamais pesantes ni superflues, confèrent au roman une beauté fort mal rendue par la couverture, terne et d'une étonnante vacuité.
En outre, la thématique abordée par Berthelot demeure très personnelle. Si les rivalités entre peuples et les intrigues de palais sont des situations convenues du genre, Berthelot apporte une solution différente aux affrontements. Pas de grand bataille finale aboutissant à l'anéantissement d'une des factions, réconciliation, entraide, amour et fusion viendront au contraire effacer les blessures. Les peuples de Khanaor devront apprendre à accepter leurs différences, à mettre en commun les ressources de l'île, à coopérer entre eux et avec la nature... De cette harmonie écologique pourra jaillir la paix.
Les personnages sont également éloignés des figures conventionnelles de la fantasy. Pas de barbare musclé, de voleur rusé ni de princesse délurée, mais, entres autres, une enfant au talent de magicienne naissant, un charmeur de plantes homosexuel et un fantôme errant de corps en corps... Souffrance et amour réuniront ces personnages, dont certains se fondront en une entité figurant la réunification de l'île.
Ecologie, homosexualité, amour, rapprochement, tolérance... Il n'est pas difficile de constater qu'avec cette fantasy subtile, Berthelot n'a pas cédé à une mode littéraire : c'est bien un roman où l'on retrouve nombre de thèmes qui sous-tendent l'œuvre entière de l'auteur, aussi bien dans ses ouvrages de science-fiction que de littérature générale.
Khanaor, une île étrange, une entité qui vit et évolue en symbiose avec ses habitants, un territoire livré aux pouvoirs des guerriers, des mages, des rois et des reines, une terre blessée et minée par d'anciens combats, par de sombres machinations, par d'implacables intempéries et d'inexplicables pollutions. Acculée par la lente agonie de la faune aquatique, Mervine, reine-magicienne d'Aquimeur (un peuple qui ne vit que de pêche) s'allie avec Leuthiag, roi-guerrier de Goldèbe (dont le peuple est affamé suite à des années d'intempéries) afin d'obliger les barons d'Ardamance à livrer du sang solaire (seul remède contre la pollution aquatique, mais qui nécessite la mort de plusieurs mages) et à vendre moins cher la neige de lave, un incroyable fertilisant.
Alors que Mervine multiplie les intrigues et sombre lentement dans la démence, Leuthiag redécouvre l'ivresse de la barbarie et les barons d'Ardamance la peur de l'invasion et du pillage. L'île se dirige droit vers l'apocalypse. Seuls quelques personnages marginaux possèdent peut-être la clé pour rétablir la santé et l'espoir des peuples de Khanaor et faire de nouveau régner la paix. Sigrid, la fillette magicienne à la recherche de sa grand-mère disparue ; Kurt, le jeune charmeur de plante, amoureux du pire traître de l'île, l'Anserf, esprit désincarné et maltraité par Mervine, qui connaît les secrets de Khanaor ; Judith et Craès, deux mages en proie aux affres du passé. Et tandis que Mervine se damne en créant la rage d'eau qui empoisonne les cours d'eau d'Ardamance, que Leuthiag et ses barbares brûlent, pillent, tuent et violent au fur et à mesure de l'avancée des combats, que Khanaor se met à secréter ses propres horreurs, les rares combattants pour la paix explorent leurs propres blessures, règlent les contentieux du passé, se croisent et s'allient contre les puissances du mal et du chaos. L'amour, la tolérance et le respect de la terre sauveront-ils Khanaor ?
Khanaor, dont la première publication en deux volumes chez Temps Futurs remonte à 1983 (le Fleuve Noir rééditera le diptyque en 1986/1987), reste — malgré son âge — l'un des grands et des meilleurs romans de fantasy française. D'une grande fraîcheur et d'une véritable originalité, ce roman doit sa réussite au talent de son auteur, un styliste d'une profonde sensibilité. Si l'intrigue principale n'échappe pas aux canons du genre, les nombreuses intrigues secondaires tissent une toile complexe et passionnante, d'où émerge une galerie de personnages hauts en couleurs, profondément touchants, fragiles et torturés. Et c'est là que réside la grande force de Berthelot : l'humanité et la richesse psychologique de ses personnages. L'histoire personnelle de ces marginaux attachants est un véritable régal pour les lecteurs et muscle l'intrigue en parfaite synergie.
Avec la réédition coup sur coup de Rivage des intouchables (Folio SF) et de Khanaor, l'amateur de littératures de l'imaginaire pourrait s'estimer comblé, mais il ne faudrait pas ignorer que le talent de Francis Berthelot est une délicieuse drogue aux effets immédiats. Alors si l'on peut se procurer sa dose une fois l'an, au rythme des sorties de ses romans et recueils de Nouvelle Fiction chez Fayard, l'on croise les doigts pour qu'un éditeur aux goûts sûrs republie très vite l'un des chefs-d'œuvre de la SF française : La Lune noire d'Orion. Gageons que les véritables connaisseurs et autres nouveaux convertis sauront être entendus... En attendant, et en trois mots : merci, monsieur Berthelot.
Inutile de le nier : chez Bifrost, Francis Berthelot fascine. Que ce soit pour sa science-fiction — comment oublier La Lune noire d'Orion, aujourd'hui disparu des librairies, ou le splendide Rivage des intouchables, réédité chez Folio « SF » — ou pour l'inclassable « Cycle du Démiurge », qui, de roman en roman 1 invite à un lent glissement dans le fantastique et dans les profondeurs tourmentées de l'être. La récente réédition de Khanaor vient nous rappeler qu'il s'est aussi aventuré en terres de fantasy. A une époque (1983) où le genre n'était quasiment représenté en France que par la production anglo-saxonne, il fallait s'attendre à ce que Berthelot s'aventure hors de ses sentiers balisés pour en interpréter la partition d'une manière toute personnelle. Vingt-sept ans plus tard, ce roman n'a rien perdu de sa force et de son originalité.
Khanaor : une île que les aléas de l'Histoire ont scindée en quatre territoires — l'Eau, la Terre, le Feu et l'Air — profondément antagonistes. Une terre qui souffre de ces divisions, au point qu'un jour l'équilibre se rompt. Les ressources se tarissent : en Aquimeur, la faune et la flore dépérissent, et la reine Mervine se voit contrainte de réclamer de la puissante Ardamance le sacrifice de quatre de ses mages... Quitte à s'appuyer pour l'obtenir sur la puissance militaire de la Goldèbe, créancière de l'Aquimeur, bientôt réduite au désespoir après des années de mauvaises récoltes. Les tensions montent, la terre de Khanaor en accuse les symptômes et s'empoisonne. Seuls les monts d'Espréol semblent épargnés, mais pour combien de temps encore ?
Au gré des convulsions politiques, alors que la reine d'Aquimeur sombre peu à peu dans la folie, le roi Leuthiag de Goldèbe dans la barbarie et les barons d'Ardamance dans la peur, quelques destins vont se croiser, se mêler, se lier.
Il y a Sigrid, fillette apprentie magicienne lancée à la recherche de sa grand-mère promise au bûcher pour sorcellerie, et l'Anserf, l'esprit de l'île, âme d'un noyé arrachée à la mort qui dans sa souffrance a oublié ses origines ; Kurt, le jeune charmeur de plantes traître à Sigrid, traître à son pays, amoureux du trop beau Raïleh, traître à toutes les causes hormis la sienne ; Judith, mage d'Ardamance, et Craès, l'ermite d'Espréol, prisonniers du passé et impuissants à résoudre le présent...
Chez Berthelot, la fantasy oublie les grands destins, les héros et les batailles, pour plonger au plus profond de l'être. Et le long des chemins secrets de Khanaor se dessinent les paysages intérieurs de ces personnages meurtris par la violence des guerres que savent se livrer corps et esprit, par les violences faites au corps ou à l'esprit, par l'exclusion que vaut, encore et toujours, la différence. Autant de thèmes qui hantent ce roman et toute l'œuvre de l'auteur, portés, ici comme toujours, par un style ciselé, incisif, aiguisé : un scalpel prêt à fouiller nos chairs et nos cœurs pour, à la lumière des équilibres rompus de Khanaor, dévoiler les monstres que nourrissent nos déséquilibres fondamentaux.
Avec ce roman sensible et militant, intensément humain, Francis Berthelot a écrit à lui seul un chapitre de l'histoire de la fantasy en France : une réédition à ne pas rater.
Notes :
1. Et d'éditeur en éditeur — Denoël, Fayard, Flammarion et enfin le Bélial', ce dernier nous promettant une intégrale dudit cycle pour 2012, alors que le huitième opus de la série, soit l'avant-dernier, devrait à cette heure être disponible chez le petit éditeur Rivière Blanche sous le titre de Carnaval sans roi. [NDRC]