Les trois nouvelles regroupées ici sous le titre de La Voix maudite sont profondément marquées par la personnalité hors du commun de l'auteur. On doit à ses recherches inédites, à son empathie fusionnelle pour les choses du temps jadis et à l'incomparable magie de sa puissance d'évocation de l'âme du passé, mais aussi à d'irrémédiables tourments intimes, à sa solitude fondamentale et à sa difficulté d'être, une cinquantaine d'ouvrages : récits de voyage, essais sur la peinture, la sculpture, la musique ou la littérature, romans, contes inspirés par les traditions populaires ou la Commedia dell'arte et nouvelles fantastiques.

     Dans La Voix maudite (dont nous présentons la version originale en français), Winthrop, fantaisie musicale et La Vierge aux sept poignards, c'est le retour de l'Histoire qui suscite les songes : dans ces villes mythiques (exquises et mortelles Florence et Venise ; envoûtante Grenade baroque, entre catholicisme et culture arabe), la fascination dangereuse pour le passé et pour l'art est liée à la violence d'un érotisme contenu. Les cauchemars sont peuplés de fantômes dignes d'un E.T.A. Hoffmann ou d'un Füssli (portraits animés et statues trop humaines), mais aussi de spectres infiniment plus étranges et inquiétants parce qu'insaisissables : voix assassines assoiffées de chair et de sang, musiques refoulées, chanteurs contre nature idolâtrés et immolés (Farinelli)...

     Vernon Lee, auteur peu connu du public français malgré la parution d'un précédent recueil chez Marabout en 1970 – Les Epées de l'effroi – , est le pseudonyme masculin de Violet Paget, une anglaise née en France en 1856, mais italienne de cœur.

     Le présent recueil nous permet de découvrir trois de ses histoires fantastiques, des récits tout à fait remarquables qui font espérer une réédition prochaine des autres œuvres de l'écrivain.

     Les deux premières nouvelles possèdent la même intrigue  : un artiste est subjugué par le portrait d'un chanteur disparu près d'un siècle plus tôt et il subit l'influence de sa musique et de son chant. Outre les différences dans les péripéties, on mesure l'évolution du style de l'auteur, entre Winthrop, sa première œuvre, une charmante ghost story, et La Voix maudite, un petit chef-d'œuvre présentée ici dans la version originale, rédigée en français – alors que l'édition Marabout comportait une traduction du texte anglais  ! Le narrateur y est condamné à perdre son inspiration wagnérienne et à ne pouvoir composer que des musiques du XVIIIème siècle, « roucoulements de rondeaux  » et « tapoteries de menuets  », victime de la voix humaine, ce « violon de chair et d'os fabriqué par un luthier auprès duquel pâlissent les Stradivarius et les Amati, et qui n'est autre que le Diable en personne.  »

     Le dernier récit, La Vierge aux sept poignards, est également superbe. Il met en scène un Don Juan devenu nécromancien dans une Espagne baroque. Dans ce conte très original, le châtiment du libertin qui incarne ici « l'absolu du mal  » ne doit rien aux autres versions du mythe.

     Les introductions détaillées de Sophie Geoffroy-Menoux, outre d'abondantes précisions biographiques sur Vernon Lee, permettent de resituer le milieu artistique où elle évolue, obsédée par la recherche de « l'âme du beau  ». Cet amour de l'art et de la musicologie imprègne les récits, surtout les deux premiers qui s'inspirent directement du fameux Farinelli. Ces introductions, ainsi que les nombreuses notes, sont d'une lecture aussi passionnante que les nouvelles elles-mêmes, brossant un portrait de Vernon Lee aussi fin et délicat que celui qui orne la couverture du recueil.

     Enfin, cerise sur le gâteau, Sophie Geoffroy-Menoux ajoute en postface une fiction de sa main, hommage à Vernon Lee en forme de nouvelle de science-fiction puisque l'action se déroule en 2075  : le professeur Poggio Bracciolini, dont le nom est étrangement annoncé dans les correspondances d'une certaine Violet Paget, décédée cent quarante ans plus tôt, décide de mener une enquête sur cette femme, à l'aide du RAMI (Recherches assistées par Mme Irma  !).

     Ce délicieux recueil, agrémenté de commentaires et de notes particulièrement riches et plaisantes, devrait figurer chez tout passionné de fantastique, mais au-delà de ce public, il pourra séduire tout amateur de littérature, au même titre que, par exemple, les récits fantastiques d'Oscar Wilde.