Mars 1978. Un endroit mal localisé (Europe de l'Est ?). Une drôle de guerre.
Parce qu'il a cassé les dents de la femme d'un caïd chanteur, le héros se voit contraint d'accepter de tuer Caroline, une artiste dont la tournée est très – trop – populaire auprès des soldats. Il doit pour cela s'engager dans un bataillon spécial, « Les Pluies de l'automne », commandé par un ancien serial killer.
Comment justifier que ce roman, manifestement ni SF ni fantastique, fasse l'objet d'une critique sur nooSFere ? Tout simplement parce qu'il illustre parfaitement ce genre assez flou que Daniel Conrad nomme la
dark fiction et qu'il définit comme devant instiller et distiller un
malaise 1.
Tout d'abord, le malaise s'installe car le lecteur n'a aucun repère. Les faits racontés ne semblent correspondre à aucune guerre précise, et aucun conflit remarquable ne s'est produit en mars 1978
2. Le personnage de Caroline évoque celui de Marylin au Vietnam, les lieux pourraient correspondre à la Bosnie, tandis que la couverture médiatique rappelle celle de la Guerre du Golfe.
Il serait d'ailleurs plus juste de parler d'invasion médiatique. Les soldats revêtent des T-shirts mentionnant les marques des sponsors avant de se lancer dans un assaut qui fera le prime time de la soirée télévisée. Les combats sont décidés non pas pour leur valeur stratégique mais en fonction de l'audimat. Les reportages sont truqués, montrant par exemple une distribution de chocolat à de prétendus rescapés qui seront exécutés dès le tournage achevé. Le récit frôle ici l'anticipation...
Le malaise culmine dans le dénouement à la fois d'une totale invraisemblance, d'un humour noir décapant et d'une cruauté abominable. Dément, absurde, invraisemblable, oui, mais pas strictement impossible, ce qui en fait le sel et la terrifiante efficacité.
Outre la peinture corrosive d'un monde en proie à une étrange guerre considérée comme un spectacle, ce roman bénéficie de personnages pittoresques qui forment une faune médiocre, pitoyable, mais attachante.
La construction en est également très habile, maintenant un intrigant suspense : le héros est paralysé dans un lit d'hôpital, détesté par le personnel soignant pour un acte dont il n'a aucun souvenir. En parallèle d'une convalescence difficile, les événements sont progressivement dévoilés au lecteur.
Seule déception, le style, qui se veut sans doute incisif, mais qui semble surtout relâché, voire maladroit, avec notamment des répétitions parfois désagréables.
En dehors de cette réserve, Mort d'un parfait bilingue est un roman vif, drôle – à condition d'apprécier l'humour noir – et original. Un livre savoureux, d'autant plus que malgré sa causticité, il n'est pas dénué d'un certain humanisme et d'une certaine tendresse pour les personnages.
Notes :
1. Lire la préface de l'anthologie De minuit à minuit, au Fleuve noir.
2. Mais Claude François est mort, tout de même.
Pascal PATOZ (lui écrire)
Première parution : 2/4/2001 nooSFere