Richard MATHESON Titre original : Somewhere in Time / Bid Time Return, 1975 Première parution : New York, USA : The Viking Press, février 1975 Traduction de Ronald BLUNDEN Illustration de Alan HORSAGER
GALLIMARD
(Paris, France), coll. Folio SF n° 34 Dépôt légal : octobre 2000, Achevé d'imprimer : 9 octobre 2000 Réédition Roman, 338 pages, catégorie / prix : F7 ISBN : 2-07-041614-3 Format : 10,8 x 17,8 cm Genre : Science-Fiction
À trente-six ans, Richard Collier se sait condamné à brève échéance. Pour tromper son désespoir, il voyage, au hasard, jusqu'à échouer dans un vieil hôtel au bord du Pacifique.
Envoûté par cette demeure surannée, il tombe bientôt sous le charme d'un portrait ornant les murs de l'hôtel : celui d'Elise McKenna, une célèbre actrice ayant vécu à la fin du XIXème siècle. La bibliothèque, les archives de l'hôtel lui livrent des bribes de son histoire, et peu à peu la curiosité cède le pas à l'admiration, puis à l'amour. Un amour au-delà de toute logique, si puissant qu'il lui fera traverser le temps pour rejoindre sa bien-aimée.
Mais si l'on ne peut tromper le temps, peut-on tromper la mort ?
Né en 1926, Richard Matheson a débuté une carrière de journaliste avant de se tourner vers l'écriture. Il a acquis sa renommée dans le monde de la science-fiction grâce à deux romans devenus des classiques du genre : Je suis une légende et L'homme qui rétrécit, tous deux adaptés au cinéma.
Critiques
Le 14 novembre 1971, Richard Collier, trente-six ans, scénariste au physique de Paul Newman, décide de quitter son frère, chez qui il habite, pour prendre le large, direction San Diego au son de Gustav Malher. Une tumeur au cerveau le condamne à court terme. Aussi cherche-t-il à ne pas devenir une charge pour ses proches, et à trouver le sens de sa vie en ses derniers instants. Au hasard de la route, il parvient à l’Hôtel del Coronado, un établissement rococo construit en 1887. L’endroit a accueilli le tournage de Certains l’aiment chaud de Billy Wilder, et la présence de Marylin Monroe s’y fait encore sentir. Cependant, c’est une autre actrice au charisme tout aussi certain qui va subjuguer Richard : Elise McKenna, qui a séjourné à l’hôtel en 1896. Depuis la chambre 527 où il réside, Richard va se persuader qu’il peut rejoindre la comédienne. Il l’aime, lui qui n’a jamais connu l’âme sœur. En découvrant son nom inscrit dans le registre de l’hôtel, à la date du 20 novembre 1896, Richard détient la preuve qu’il a déjà rencontré Elise et peut donc retourner dans le temps. Il le doit, car sinon 1896 ne sera plus ce qu’il a été. Par méthode d’immersion, ne négligeant aucun accessoire et détail vestimentaire, recourant à l’autosuggestion, Richard parvient après plusieurs essais à destination. Elise McKenna l’accueille alors d’un « C’est vous ? »
Le roman se présente sous la forme d’un manuscrit dû à Richard, publié en juillet 1974 par son frère Robert, amputé toutefois d’une partie. L’éditeur s’en explique, évoquant les longueurs et surtout certaines incohérences dues à l’état de santé du scénariste. Ainsi, l’habileté du procédé narratif fait que le lecteur a le choix entre une explication réaliste, un délire procédant de la tumeur, ou une romance par-delà le temps. Et c’est bien sûr à la seconde option que nous voulons croire, tant Richard et Elise sont touchants. D’autant que Matheson pose d’entrée des indices, comme l’épave du Queen Mary, vaisseau du temps échoué, qui anticipent les événements à venir. Comme une répétition générale, puisqu’il est question de théâtre. En premier lieu du titre, Bid Time Return dans la version originale, citation empruntée au Richard II de Shakespeare. Et puis la comédienne, inspirée de la bien réelle Maude Adams dont le portrait exposé au Piper's Opera House fascina Matheson. L’écrivain n’a donc pas seulement son prénom en partage avec le héros du roman, porté à l’écran par Jeannot Szwarc, et sorti en 1980 sous le titre Quelque part dans le temps. Un succès public amplement mérité, et l’une des plus belles expériences au cinéma de Matheson, selon son propre aveu au fil des interviews accordées à William P. Simmons et Edward Gorman.
Brillant et émouvant, Le Jeune homme, la mort et le temps s’inscrit dans une tradition de la romance temporelle, à rang égal avec Le Voyageur des siècles de Noël-Noël, et surtout Le Voyage de Simon Morley de Jack Finney, auquel Matheson paye ouvertement sa dette dans l’adaptation filmée.
Atteint d'une incurable tumeur au cerveau, Richard Collier, un scénariste de télévision californien, quitte un beau jour le peu qui le retient encore dans sa vie « d'avant » et part au hasard des routes au volant de sa voiture. Collier va bientôt mourir, il le sait, c'est une affaire de mois, de semaines peut-être. Alors il veut s'offrir un peu de solitude pour méditer sur une vie qu'il voit parsemée d'échecs : il ne s'est jamais épanoui dans son travail, et n'a jamais pu se décider à écrire quoi que ce soit de sérieux. Pire, il n'a jamais rencontré l'amour, le vrai : à trente-six ans, Richard ne s'est jamais marié, et alors que la fin est proche, il souffre plus que jamais de son célibat.
Dans un hôtel de la côte au faste suranné, Richard tombe en adoration devant la photographie d'une jeune femme. Il s'agit d'Elise McKenna, une célèbre actrice qui séjourna dans cet hôtel durant l'une de ses tournées. Seul problème : c'était en 1896, trois quarts de siècle plus tôt... Mais ce n'est pas suffisant pour faire renoncer Richard. En créant les conditions propices, il pense pouvoir rejoindre Elise par-delà la frontière du temps, car de troublantes coïncidences lui font pressentir qu'il a effectivement vécu une histoire d'amour avec elle, avant même sa propre naissance...
Eh oui, c'est à bien des points de vue un roman fantastique. Je me remémore avec un sourire la préface qu'Alain Dorémieux écrivit pour l'un de ses remarquables Territoires de l'Inquiétude (anthologies publiées dans les années 90 par la défunte collection Présence du Fantastique chez Denoël), où il stigmatisait l'hypocrisie — le terme est de lui — des éditeurs de SF qui faisaient alors pudiquement passer des romans fantastiques pour de la science-fiction, parce que cela faisait plus sérieux. Et d'illustrer son propos par l'exemple du Jeune homme, la mort et le temps (paru initialement en Présence du Futur), l'un des romans les plus appréciés de Richard Matheson (lauréat du World Fantasy Award), auteur trans-genres s'il en est.
On retrouve dans ce récit l'extrême souci de la forme que Matheson manifeste dans ses nouvelles (rappelons qu'en 1975, il a la quasi-totalité de sa production de nouvelliste derrière lui). Le Jeune homme, la mort et le temps se présente classiquement comme le manuscrit de Richard Collier, publié à titre posthume par son frère. Le texte commence à la façon d'un simple journal de bord, où le narrateur relate dans un style concis et sec les stricts événements de son voyage. C'est au moment de sa rencontre virtuelle avec Elise (par le biais de son portrait) que le récit s'emballe, au rythme des émotions du narrateur, pour se rapprocher par moments du roman d'amour victorien dans ce qu'il a de plus typique, tout en baignant dans une atmosphère troublante, où le fantasme se superpose à la réalité, puis se substitue à elle : le narrateur entraîne alors le lecteur dans une espèce de transe que le moindre accident risque d'interrompre brutalement à tout instant. Un rêve dont on ne veut surtout pas se réveiller.
Richard — le narrateur — emprunte-t-il plus que son prénom à Richard — l'auteur ? Si le Richard de la fiction est plus jeune que son créateur, ils partagent en tous cas la même profession (même si à la différence de son personnage, Matheson a mené une importante carrière littéraire en plus de ses activités scénaristiques)...
Les commentaires et les annotations du frère du narrateur n'ont de cesse de persuader le lecteur que l'ensemble du récit qu'il est a sous les yeux n'est que la conséquence des hallucinations psychotiques provoquées par la maladie de Richard. La fleur bleue qui croît secrètement en chacun de nous ne saurait se satisfaire de telles explications ! Car ce roman est l'une des plus belles histoires d'amour de la littérature de genre, et même de la littérature tout court, au point qu'une anthologie récente reprend la première scène entre Elise et Richard comme exemple de rencontre amoureuse. Si l'on voulait situer ce roman par rapport à une autre œuvre de SF, ce serait le pendant tragique d'Une porte sur l'été(de Robert Heinlein), ce qui n'est assurément pas une mince référence. Si le destin du narrateur est scellé dès les premières pages, je ne peux cependant m'empêcher de penser qu'il est dommage d'avoir insisté sur l'idée de mort dans la traduction du titre, car tout le roman me semble être avant tout une magnifique leçon d'optimisme, un hymne à la vie, même. Et une nouvelle preuve que les histoires d'amour qui finissent mal sont souvent les plus belles...
Pas une nouvelle brève, mais un gros roman de 330 pages ; pas un sujet-choc, mais l'exploitation minutieuse d'un thème traditionnel à cheval entre la s-f et le fantastique ; pas la moindre trace de morbide, de suspense, d'effets faciles, mais la coulée sereine d'un récit romantique : décidément, pour son retour, Matheson prend le contre-pied de tout ce à quoi son nom et sa célébrité étaient attachés. Courage, ou suprême habileté ? Qu'importe... Cette toute simple histoire d'un homme atteint d'une maladie incurable et qui plonge deux jours dans le passé proche (1896) par la seule force de sa pensée, pour y vivre les débuts d'un impossible amour avec une jeune actrice vue en photo, est une belle réussite, qu'entachent à peine quelques maladresses (il est peu probable que le narrateur ait pu écrire toutes ces pages au cours de ses deux journées au XIXe siècle) et quelques longueurs (notamment l'épisode avec les hommes de main). « Après 1960, Matheson a substitué le métier à l'imagination » (Dorémieux, préface aux Mondes macabres de Richard Matheson) ; « Une page est tournée »(R. Stragliati, in « La grande anthologie du fantastique »). Sans doute, mais Big time return n'incite pas à le regretter.