« Nous sommes, sire Asquin, Loup de Deb, celui dont la hache a taillé une légende à sa démesure, celui qui n'a plus que la mort elle-même à terrasser.
Nous sommes, Nambi Lavone, fils spirituel de Messed et réincarnation de Fankarin, guerrier Sînnam et tueur de Nymphe.
Et enfin nous sommes, Donosson de la Bellecroyance, maître d'armes et maître cuisinier. Je suis le porteur du fléau à trois branches.«
Asquin de Deb a tiré une croix sur son passé de chevalier errant. Seuls comptent pour lui désormais les souvenirs partagés avec ses vieux compagnons d'armes, et les grands vins qu'il amasse avec jalousie dans sa cave.
Mais on ne conjure pas aussi facilement les ombres des temps anciens. Le massacre sauvage d'une famille de fermiers placés sous sa protection replonge Asquin au coeur de l'époque sanglante qu'il croyait révolue. Pour l'amour de l'aventure, de l'honneur, et pour quelques bouteilles de vin, il redeviendra le Loup de Deb.
Nicolas Jarry est né en 1976. Après la mort de son père, il décide de faire passer sa passion pour l'écriture au premier plan. A mi-chemin entre l'univers crépusculaire du western Impitoyable et la tendresse nostalgique du roman Vingt ans après, le Loup de Deb, premier volet des Chroniques d'un guerrier Sînnam, joue avec les conventions de la fantasy, mêlant avec brio gravité et humour.
Critiques
La fantasy compte un grand nombre de romans d'apprentissage dont le héros est un adolescent. Le Loup de Deb au contraire a son destin derrière lui : sire Asquin, un chevalier au soir de sa vie, goûte un repos bien mérité et noie sa relative solitude dans un excès de vin. L'époque héroïque des Guerres Méortolines est révolue : Asquin pourrait quitter sans regret ce monde qui ne lui correspond plus. Il reprendra cependant la route, toujours en quête de vin, pour un voyage qui se révèlera être son chant du cygne.
Ce premier roman de Nicolas Jarry ne manque pas d'atouts. La narration, fluide et agréable, adopte un rythme plutôt lent, mais sans longueur, qui permet à l'auteur d'étoffer ses personnages et de donner du corps à son univers. En quelques pages, il rend crédible tout un peuple, avec ses coutumes et ses mythes – comme la très belle légende de Ciel et Océan – sans paraître superficiel. Ensuite, il bâtit minutieusement une intrigue qui devient de plus en plus complexe au fil de l'œuvre : Asquin se découvrira traqué par des personnages surgis de son passé et animés d'obscures intentions, tandis que parallèlement, le voyage aura bien une fonction d'apprentissage pour le jeune voleur qui l'accompagne.
L'intrigue conserve une structure classique, mais elle évite par bonheur l'enchaînement mécanique de péripéties prévisibles qui alourdissent trop de romans de quête. Chaque chapitre s'ouvre sur un très court récit situé dans le passé, mais Jarry n'en fait pas des retours en arrière détaillés et explicatifs : simples bribes de souvenirs désordonnés et d'importance inégale, ces rappels peuvent éclairer un personnage, révéler une douleur enfouie ou seulement apporter une couleur supplémentaire au récit principal.
Naviguant entre nostalgie, aventure et humour, Jarry parvient donc à surprendre même le lecteur le plus blasé. De lecture particulièrement agréable, son roman est très prometteur et déjà pleinement satisfaisant, bien qu'il ne s'agisse que du premier tome d'une tétralogie.
Une fantasy française vient de naître, tout juste : ses géniteurs changent encore ses couches-culottes sur fond de braillements. Elle devra faire son Œdipe. Sa personnalité, avec la maturité, ne se dégagera que lorsqu'elle aura fait un sort à la mauvaise imitation de la mauvaise fantasy américaine, ainsi qu'à l'utilisation des mécanismes narratifs du jeu de rôles.
D'un certain point de vue, Le Loup de Deb se situe au début de cette phase de transition, car il y a en lui chacun des éléments évoqués plus haut. Ainsi le cadre ne se démarque guère de ce Moyen Âge de carton-pâte dont les conventions solidement établies sont au labeur de l'écrivain, à son travail de documentation notamment, mais aussi à son goût du risque, ce que les opérettes de Gilbert et Sullivan sont à l'art lyrique. Si Nicolas Jarry avait assumé son affection pour Alexandre Dumas, plutôt que d'adhérer à ses références sans discernement, il n'aurait pas échoué à susciter la familiarité en présentant un XVIIe siècle aberrant, dépourvu de poudre à canon. Admettons qu'il ait eu des prétentions plus élevées, puisqu'il se met constamment en porte-à-faux avec elles. Il s'enorgueillit à longueur de notes en bas de page de sa connaissance des armes, limitée toutefois à leurs noms. Il ne cesse de se tromper sur les archaïsmes, emploie à l'occasion des termes recouvrant des concepts propres au XXe siècle, de même il ignore tout des règles d'usage de la particule nobiliaire. Dès la première page, « Ceux du Fondement » valent leur pesant de Rabelais. À se satisfaire d'un mince vernis de culture générale, on finit par écrire trou-du-cul en lieu et place de fondateur.
Quant à l'intrigue, si elle présente quelques similitudes avec celle du film Impitoyable de Clint Eastwood — un chevalier errant à la retraite reprend du service, à l'instar du pistolero — , elle s'affale sur l'archi-classique constitution d'un groupe de personnages variés et complémentaires qui partent en quête : « a-t-on jamais vu une expédition digne de ce nom partir sans son voleur ? » (p. 57). Gageons que Weis et Hickman n'auraient jamais osé une référence aussi explicite aux poncifs du médiéval-fantastique et du jeu de rôles se situant dans le même univers, un trait digne de certaines novelisations. Une lourdeur naturellement due tant à l'enthousiasme qu'à la naïveté. Enfin, notons que nous parlons là du premier tome d'un cycle : on s'en serait douté...
Ce qui devrait laisser l'opportunité au style de s'améliorer ; car, faute d'une relecture attentive — certainement harassante du fait de la masse du texte — il pêche par de nombreuses erreurs de débutant. Outre des phrases alourdies par leur structure, l'emploi abusif du verbe être et des adjectifs superflus, nombre de paragraphes, voire des passages entiers, qui ne font que répéter des informations fournies par ailleurs, gagneraient à être supprimés.
Car le problème principal réside en fait dans la paresse de Nicolas Jarry. Il n'a pas fait l'effort de se documenter suffisamment, pas plus qu'il n'a brisé le schéma de ses lectures médiévales-fantastiques et de ses campagnes de jeu de rôles. Paradoxalement, pour peu que l'on standardise la production, écrire une épopée ne relève pas de l'exploit ; on ne sort pas de la médiocrité, point. Plutôt que de se laisser emporter par sa plume, il aurait dû s'arrêter un instant afin d'observer la matière dans ses détails comme dans sa globalité, de faire le tri entre le nécessaire et le jetable, l'efficacité et les falbalas. Malgré tout, c'est son ambition qui sauve l'auteur. Car il a les moyens de cette dernière lorsqu'il dépeint, toujours avec naïveté, les angoisses de ses personnages, la gêne qu'ils éprouvent à exister, les arrangements qu'ils passent avec la vie ou les raidissements. Du potentiel, donc, qui se concrétisera le jour où il se mettra à travailler pour de bon. N'oublions pas que Jarry signe ici un premier roman : le début de son parcours, non sa fin. Les éditions Mnémos jouent encore leur rôle de pépinière des nouveaux talents de la fantasy française : faisons-leur confiance. Tous les espoirs sont permis. Il n'y a rien d'irrémédiable chez Nicolas Jarry, il ne peut que progresser s'il ne baisse pas les bras. Reste au lecteur à ne pas les baisser, lui non plus, lors de la lecture de son premier roman...