Voici, pour faire suite au Démon de février, le second tome des oeuvres fantastiques complètes de Gérard Prévot (1921 — 1975). Dissimulé dans les dunes du Jutland, le domaine de L'Invitée de Lorelei abrite depuis des siècles la famille von Stuppach, la Mort qui s'incarne dans la personne des gouvernantes successives, et une force cosmique créatrice d'orages. Les belles fiancées se suivent, sont adorées puis immolées selon un rituel immuable. La mer du Nord est à proximité, omniprésente comme dans la plupart des 23 nouvelles fantastiques suivantes, et comme dans La Fouille, ce cauchemar ferrovière tout droit sorti d'un tableau de Paul Delvaux. En complément on trouvera Pas de fantômes sans fumée, roman policier noir paru en pleine effervescence du genre, sous le pseudonyme de Diego Michigan.
L'Invitée de Lorelei — Nouvelles fantastiques — La Fouille — Pas de fantômes sans fumée
1 - Jean-Baptiste BARONIAN, Les Années de braise, pages 9 à 13, préface 2 - L'Invitée de Lorelei, pages 19 à 174, roman 3 - Le Spectre large, pages 175 à 184, nouvelle 4 - La Simultanée, pages 185 à 193, nouvelle 5 - Swiss made, pages 195 à 202, nouvelle 6 - La Putain bleue, pages 203 à 212, nouvelle 7 - Le Portail, pages 213 à 217, nouvelle 8 - L'Interview, pages 219 à 226, nouvelle 9 - Le Vendredi 13 décembre, pages 227 à 235, nouvelle 10 - Le Temps se casse à chaque instant, pages 237 à 241, nouvelle 11 - La Perle noire de Madras, pages 243 à 246, nouvelle 12 - Histoire de Marie Gadoue, pages 247 à 256, nouvelle 13 - Le Bal du rat mort, pages 257 à 261, nouvelle 14 - La Mort à marée haute, pages 263 à 273, nouvelle 15 - La Fiancée de l'écluse, pages 275 à 282, nouvelle 16 - Un dimanche à Oursel, pages 283 à 286, nouvelle 17 - La Balançoire, pages 287 à 293, nouvelle 18 - 10, Rue de la Colline, pages 295 à 301, nouvelle 19 - Les Tourterelles, pages 303 à 306, nouvelle 20 - Une soirée à l'auberge des gueux de mer, pages 307 à 312, nouvelle 21 - Le Bunker, pages 313 à 323, nouvelle 22 - La Taverne des étangs, pages 325 à 339, nouvelle 23 - Le Dé noir de Nora, pages 341 à 350, nouvelle 24 - La Louve de la rue Vaneau, pages 351 à 359, nouvelle 25 - Le Balustre ostendais, pages 361 à 370, nouvelle 26 - La Fouille, pages 378 à 468, nouvelle 27 - Frank ÉVRARD, Introduction à Pas de fantômes sans fumée, pages 469 à 471, introduction 28 - Pas de fantômes sans fumée, pages 475 à 628, roman 29 - Fragments d'un journal (extraits), pages 629 à 630, notes 30 - Jean-Baptiste BARONIAN, Bibliographie, pages 631 à 635, bibliographie
Critiques
Peut-on être jaloux d'un spectre qui donne rendez-vous à votre épouse ? Et qu'en est-il des émois d'un fantôme amoureux d'une vivante qu'il observe au quotidien ? Amour et mort se renvoient ici de singuliers échos. Les défunts ne cessent de hanter les lieux où ils brillèrent jadis et d'interpeller ceux qui s'intéressent à eux ou aux objets qu'ils ont aimés (Tout amour est une lente agonie, Le Balustre ostendais). D'une voix sarcastique, ils susurrent : « La mort n'existe pas, voyons ! » (La Putain bleue). Celle-ci pourtant n'a de cesse de tenter d'attirer les vivants de l'autre côté. Le piège dans lequel tombe L'Invitée de Lorelei, court roman de l'auteur, en témoigne.
On reconnaîtra sans peine l'influence de Jean Ray, avec ces décors si prégnants de brumes de mer du Nord, de ténébreuses ruelles en Hollande ou Belgique. On discerna également celle de Gérard de Nerval dans l'élégance du style. Et des deux on retrouvera les fantômes, des phénomènes imprécis qui évoquent une surnature discrètement à l'œuvre. Mais la façon de les décliner, autour du thème, majeur, du temps qui passe, n'appartient qu'à Prévôt. « Le temps se casse à chaque instant » affirme cet amoureux d'Ostende qui affirme ailleurs que « le temps n'existe pas » et qui situe à chaque extrémité d'une vie l'enfant et le spectre : « L'enfant n'a pas de passé : il compose à tout instant avec le temps. Le spectre a beaucoup d'avenir. Je suis, moi, l'homme, le seul des trois à avoir besoin des deux autres ». Mais le plus grand spectre qui hante ces récits n'est-il pas la mémoire comme celle, commune à toute une génération, de la deuxième guerre mondiale, évoquée en filigrane
Gérard Prévôt, qui a commencé comme dramaturge, de la poésie, écrit de la littérature générale, du policier et de la science-fiction, s'est révélé dans le fantastique dans la seconde moitié de sa vie. S'il était capable de répondre à la commande (comme en témoignent les Red Port de la série SF vers la fin de la collection Pocket Marabout), il n'était pas réellement à l'aise dans les autres genres. Le roman policier livré en fin de volume (en fait un mélange d'aventures et d'espionnage) a, par exemple, bien vieilli. Parmi les vingt-trois nouvelles du recueil, les rares qui touchent à la science-fiction ressemblent davantage à des fables qu'à des récits dignes de ce nom.
Second volume des Contes de la mer du Nord, ce recueil clôt les œuvres fantastiques complètes de Prévôt. Ces vingt-trois nouvelles et trois romans sont présentés par Jean-Baptiste Baronian qui ne fut pas étranger à la carrière d'auteur fantastique de ce poète né. « La poésie naît de rien. La fantastique naît du vide ».