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La Rose de cire

Marcel BRION



ALBIN MICHEL (Paris, France)
Dépôt légal : 1964
Première édition

ISBN : néant

Critiques

    Le narrateur reçoit un jour, en compensation pour un objet qu'on lui a égaré, une rose de cire. Il en fait cadeau à sa maîtresse. La fille de celui qui lui avait donné la rose vient lui réclamer celle-ci. Il ne peut que mettre cette jeune femme en présence de sa maîtresse, qui ne rend pas la rose. Quelque temps plus tard, la maîtresse meurt, et la jeune fille disparaît à l'étranger. Tout cela, sur un peu moins de 250 pages, forme la trame de cette Rose de cire.

    Pour qui veut bien jouer le jeu avec l'auteur, celui-ci montre, à travers son narrateur, l'attirance que les choses et leurs mystères – réels ou supposés – peuvent exercer sur l'esprit d'un esthète apparemment oisif et quelque peu décadent. Il y a une recherche des liens qui devraient mystérieusement unir une série de bibelots – une tabatière agrémentée d'un oiseau mécanique, la rose et un petit médaillon – ces liens fussent-ils simplement ceux que tissent les circonstances de leur apparition dans la vie du narrateur. La scène de la promenade nocturne avec la petite chanteuse qui s'exhibe nue dans un petit théâtre de banlieue, possède un charme nostalgique indéniable : le narrateur est arrivé devant ce théâtre par hasard, il a été remarqué par la petite chanteuse parce qu'il l'a écoutée (les autres la regardaient seulement), ils se sont promenés ensemble, il ne s'est rien passé d'autre entre eux, mais la petite lui est reconnaissante et lui offre le médaillon, juste au moment où ils vont se séparer pour toujours. L'épisode est imprégné d'une poésie irréelle qui évoque un peu celle du Grand Meaulnes, et il offre la quintessence des meilleures qualités que l'on peut trouver à ces pages : le charme des cadres, la caresse des souvenirs, la poésie d'un mystère dont on est peut-être soi-même l'artisan.

    Mais pour celui qui se refuse à jouer le jeu avec l'auteur, qu'y a-t-il dans ces pages ? Les somnifères divagations d'un imbécile un peu masochiste qui se complique à plaisir une existence bien simple, laquelle ne demande qu'à être agréable. Par infantilisme, le narrateur s'attache à des objets qu'il entoure arbitrairement de mystère. Il n'ose pas demander franchement à la jeune fille pourquoi elle tient à sa rose, et se complaît aux questions que sa discrétion laisse en suspens. Il s'impose des rites aussi absurdes qu'arbitraires dans sa vie de tous les jours, et il délaie le vide de ceux-ci en plus de deux cent pages. Sorte de Proust raté, il part à la recherche d'un temps qui est perdu par sa seule faute – et qu'il fait perdre, en fin de compte, au lecteur également. Ce masochiste pourrait bien, en cela, dissimuler une petite pointe de sadisme.

    Le lecteur joue on ne joue pas le jeu, selon sa sensibilité et sa raison. Ce jeu, l'auteur ne parvient à aucun moment à en imposer la nécessité : dans son envie de suggérer un monde d'énigmes, de créer des relations entre des liens invisibles, Marcel Brion ne réussit guère à faire sentir la nécessité de ceux-ci aussi clairement que celle-ci apparaît à son « héros ». Sans doute est-ce pour mieux faire ressortir la sensibilité qu'il prête à ce dernier, mais celle-ci devient dès lors sans objet. La dilution de son récit rend ces liens ténus et ineffectifs, à tel point que leur existence même finit par être mise en doute.

    Cependant, le climat de la narration possède une qualité certaine, artificielle mais intéressante, lorsque l'on considère précisément la personnalité de celui qui fait le récit : Marcel Brion a réussi incontestablement à se mettre dans la peau de ce névrosé, que celui-ci soit attachant ou pitoyable. En cela, l'art du romancier apparaît très clairement.

    Contrairement à beaucoup d'auteurs qui abordent l'insolite, le fantastique ou la science-fiction sans avoir d'affinités réelles pour ces domaines, Marcel Brion montre clairement son attachement pour ceux-ci. On est bien loin de la maladresse, touchante et cocasse à la fois par son imperturbable conviction, avec laquelle un Pierre Boulle croit faire de la science-fiction originale : Marcel Brion possède pour sa part une réelle sensibilité à l'égard du genre dans lequel il place ce récit. Il est bien regrettable qu'il n'ait pas jugé utile de rendre la présence de cet insolite véritablement nécessaire et indiscutable en écrivant cette fantasmagorie maladive et trop longue de la Rose de cire.

Demètre IOAKIMIDIS
Première parution : 1/10/1964 dans Fiction 131
Mise en ligne le : 1/12/2023

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