Doum est certes le digne et sympathique continuateur de Rouletabille attaquant le crime avec pour arme le « bon bout de la raison ». Mais une raison qui parfois bat en retraite devant le surnaturel : dans « L'ombre du vampire » un homme s'accuse de crimes dont il est innocent, et prétend avoir été envoûté ; dans « Le fantôme du parc Manceau » interviennent le spiritisme, l'hypnotisme, la nécromancie ; dans « La reine des ténèbres », un occultisme à finalité mystique.
Jean Louis Bouquet est né avant le siècle à Paris, dans une maison au décor étrange. Dès l'enfance il, est fasciné par le merveilleux populaire. Il dévore Rock Carter, Buffalo Bill, Nat Pinkerton, Fantômas. Dans les années 20, il écrit des scénarios, notamment pour Germaine Dulac (« Le diable dans la ville ») et pour Luitz Morat (« La cité foudroyée », l'un des premiers films français de science-fiction, qui influencera Alain Rennais). En 1943, avec « L'ombre du vampire » il invente le roman policier réaliste mais ouvert à une explication surnaturelle : plus tard lui reviendra le mérite d'écrire des histoires fantastiques pouvant recevoir une explication psychanalytique, donc réaliste...
1 - Francis LACASSIN, Jean-Louis Bouquet explorateur des âmes en crise, pages 5 à 12, préface 2 - L'Ombre du vampire, pages 13 à 80, nouvelle 3 - La Reine des ténèbres, pages 81 à 152, nouvelle 4 - Le Fantôme du parc Manceau, pages 153 à 221, nouvelle
Critiques
Jean-Louis Bouquet est mort voici bientôt deux ans. Fiction lui a rendu un hommage mérité dans son n° 298 en publiant un bien beau texte, Naama ou la diva incestueuse, une des nouvelles de la période de maturité de notre auteur, au moment où il maîtrisait parfaitement son écriture flamboyante et son inspiration poétique, exotique et ésotérique. Personne, par contre, n'a parlé de L'ombre du vampire et d'Irène fille fauve, deux recueils parus chez Marabout qui avait entrepris, à l'époque, la publication de ses œuvres presque complètes, interrompue depuis, nous le regrettons. Aujourd'hui que Marabout semble repartir d'un bon pied (avec entre autres une excellente série policière), il faudrait peut-être finir le travail, non ?
Ces deux recueils écrits avant-guerre nous proposent l'intégrale des enquêtes de Doum, reporter, sur le modèle des Rouletabille de Leroux (au Livre de Poche). Cinq nouvelles intéressantes à plus d'un titre, comme le montre Francis Lacassin avec son habituel talent. Bouquet est en effet le créateur d'un genre qui n'a guère séduit, depuis, les écrivains : le policier fantastique. Deux recueils qui laissent entrevoir la suite magnifique de l'œuvre de Bouquet, Le visage de feu et Les filles de la nuit (Marabout). Une suite d'aventures en clair-obscur, où l'on découvre une étonnante galerie de portraits de petites gens, d'escrocs sans envergure, de jeunes filles persécutées ou perverses. Bouquet travaille la pâte humaine, explore l'inconscient (dans Le fantôme du parc Monceau, par exemple) avant tout le monde et se joue du lecteur avec un humour bien à lui : il s'amuse à créer un décor fantastique avec ses ingrédients habituels (sectes, envoûtements, magie) pour le démonter tout à coup et en étaler la carcasse encore fumante de mystification aux yeux de tous. Ses héros s'écrient : « ...je ne crains pas le corps-à-corps avec les représentants de l'au-delà ! », mais c'est facile puisque ceux-ci n'existent pas. Bouquet iconoclaste, Bouquet jouant du clin d'œil (il n'y a pas de vampire dans L'ombre du vampire, on s'était trompé, tout simplement, que voulez-vous, ce sont des choses qui arrivent) : voilà une attitude culturelle qui ne peut que faire avancer le fantastique, en l'interrogeant, en le maltraitant, en forçant ses mythes mis en cause à se renouveler.
Nous n'avons qu'à déplorer certaines phrases sur la police (« ... je sais comment procède la police, laquelle est trop souvent entravée par la légalité... » dans La reine des ténèbres, Peyrefitte est content) et surtout le racisme d'époque en filigrane : les criminels sont presque toujours des Orientaux patibulaires (comme dans les Bob Morane d'Henri Vernes réédités à la Librairie des Champs-Elysées), des Asiatiques sanguinaires et des Eurasiens pervers. Mais ce n'est pas la faute de Bouquet ! Il ne pouvait pas deviner que les vilains Chinois se mettraient un jour au Coca-Cola et deviendraient ainsi des hommes comme tout le monde...