S’il est des auteurs qui peuvent s’enorgueillir d’avoir eu une vie à la hauteur de leur œuvre, Claude Seignolle en fait certainement partie. Dans ce court recueil de souvenirs d’enfance, au-delà de la simple évocation autobiographique, il nous brosse en effet le portrait d’une vocation, sa vocation, qui lui fit côtoyer, à l’âge tendre où la principale préoccupation est habituellement de courir les champs, d’éminentes personnalités telles que l’abbé Henri Breuil, le père Teilhard de Chardin (ses deux « parrains » à la Société préhistorique française) ou l’illustre folkloriste Arnold van Gennep. Ce dernier le sensibilisa à l’urgente nécessité de collecter, dans un monde rural qui s’étiolait, les légendes et croyances populaires auprès des ultimes dépositaires de la tradition orale.
En premier lieu, il y a bien évidemment la famille. Seignolle nous livre une savoureuse galerie de portraits, depuis son solide gaillard de grand-oncle Félix, à l’impressionnante mâchoire, jusqu’à sa grand-mère Augusta, qui une nuit entrouvrit la porte de son esprit à « ce croquemitaine de Satan », en passant par la tante Cécile brandissant comme un étendard le caleçon taché de sang de son fils tué au front en 1917. C’est au milieu de ces personnages hauts en couleurs que le jeune Claude, infatigable traqueur de vieilles pierres, va évoluer en observateur curieux et avide de savoir.
Seignolle restitue au fil des pages, dans son style concis et percutant, une large palette d’expériences, de sensations et de sentiments dont il s’est imprégné tel une éponge, durant cette courte période de sa vie. Cet homme-mémoire fait une fois de plus appel à son art cent fois consommé de l’anecdote, en décrivant par exemple avec une précision diabolique le « pagel » (ou paysan montagnard) coiffant d’un demi-coq tranché tout vif la tête d’un enfant malade amené par sa mère. Car le fantastique de Seignolle se nourrit avant tout des superstitions des gens simples que nous sommes tous en définitive.
Sans pour autant être interdite au lecteur néophyte dans l’œuvre de Claude Seignolle, la lecture de cet ouvrage satisfera davantage ceux qui, ayant déjà dévoré ses pages, souhaiteraient mieux connaître l’homme, et particulièrement les premières années au cours desquelles son destin s’est dessiné. Ces trop courtes évocations mettent également en lumière une certaine cohérence dans l’œuvre de l’auteur, puisque ses enquêtes ethnographiques régionalistes comme ses œuvres de fiction fantastique puisent leur origine commune dans l’imaginaire façonné par cette « enfance sorcière ». Notons également en fin de volume la présence d’une judicieuse bibliographie sélective, rassemblée par Claude Labbé.
Certes, Claude Seignolle aurait bien des raisons de s’enorgueillir de cette enfance-là, si la vanité comptait au nombre de ses défauts.
Julien RAYMOND (lui écrire)
Première parution : 25/5/2000 nooSFere