La première chose qui retient l'attention dans ce roman est le style, riche, brillant. On sent le livre amoureusement poli, retravaillé maintes et maintes fois et de fait, personne ne sera surpris de savoir que Pagel le peaufine depuis dix ans.
L'intrigue est des plus simples mais son traitement a l'envergure des grands romans. Florence et Natacha sont violées par deux notables, Etienne Chaffaud, un politicien et Richard d'Albret, riche écrivain populaire beau-frère du premier. L'une, Florence, plonge dans un profond coma. L'autre, Natacha, prépare une vengeance sophistiquée en devenant Dany, vamp qui mène le cynique d'Albret par le bout du nez et se sert de lui pour entrer dans le cercle familial de Chaffaud.
Parallèlement se déroule l'intrigue fantastique, fortement axée sur le thème des doubles et de la hantise. Les rêves de princesse prisonnière d'une tour, sur un monde imaginaire, démarquage transparent de la réalité, après avoir été ceux de Florence deviennent ceux de Diane, la fille du politicien violeur. Elle est hantée par une présence, L'Autre, qui lui recommande de faire confiance à la femme venue assouvir sa vengeance. Par ailleurs, aussi authentique écrivain maudit qu'alcoolique invétéré, Claude Dumont, qui a assisté au viol, se sert de ces images pour écrire son roman qui prend alors des allures de prophétie, chaque scène imaginée (ou dictée ?) se répétant dans la réalité.
Jamais Michel Pagel n'a déployé une telle noirceur avec autant de talent : les personnages auscultés à la loupe sont édifiants de médiocrité, de perversion ou de lâcheté. Si la narration se déroule lentement, l'intérêt ne faiblit jamais, tant la description minutieuse de l'intrigue, la profondeur psychologique des personnages, la brillance du style interdisent au lecteur de s'arrêter avant la dernière page.
Ce roman fantastique se rattache au cycle que Pagel avait commencé de développer au Fleuve Noir avec Sylvana, Désirs cruels, Le diable à quatre, Les Antipodes...
Refusé par les éditeurs de littérature générale parce que trop fantastique et par les éditeurs spécialisés parce qu'il ne l'était pas assez, Nuées ardentes est trop éblouissant pour être ignoré du public. C'est assurément, à ce jour, le chef d'œuvre de Pagel.
Claude ECKEN (lui écrire)
Première parution : 1/1/1998 dans Ténèbres 1
Mise en ligne le : 12/10/2003