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Oblique

Greg BEAR

Titre original : Slant, 1997
Première parution : Londres, Royaume-Uni : Legend, juin 1997   ISFDB
Cycle : La Reine des anges  vol. 3

Traduction de Jean-Daniel BRÈQUE
Illustration de Jürgen ZIEWE

Robert LAFFONT (Paris, France), coll. Ailleurs et demain précédent dans la collection suivant dans la collection
Date de parution : février 1999
Dépôt légal : février 1999, Achevé d'imprimer : février 1999
Première édition
Roman, 480 pages, catégorie / prix : 149 FF
ISBN : 2-221-08704-6
Format : 13,5 x 21,5 cm
Genre : Science-Fiction


Quatrième de couverture

   Lorsque Giffey visite, en touriste, l'Omphalos, c'est pour préparer le plus grand casse du siècle. Du XXIe siècle.
   Car l'Omphalos est un gigantesque mausolée destiné à accueillir des semi-vivants congelés, souhaitant être réveillés lorsque la médecine aura trouvé le remède à leur mal ou le secret de l'éternelle jeunesse. Tous fabuleusement riches.
   Comme les potentats de l'Antiquité, ils se sont entourés de leurs biens les plus précieux, œuvres d'art, gemmes, monnaies et autres valeurs.
   De quoi attiser la convoitise de Giffey et d'une bande de malfrats hautement professionnels, bien décidés à jouer les pilleurs de tombes.
   Seulement voilà ! En ce milieu du XXIe siècle, à l'ère de la nanotechnologie, de la thérapie qui a réglé (en principe) tous les problèmes psychologiques, et de l'émergence des Penseurs, ces intelligences artificielles ayant accédé à la conscience, rien n'est ce qu'il semble...
   Que cache réellement l'Omphalos ? Qui est réellement Giffey ? Pourquoi le financier Crest s'est-il suicidé après s'être offert les faveurs sexuelles d'Alice Grale, vedette du Psychoporn ? Que vient faire dans cette histoire Mary Choy, flic de choc, à peine remise de ses émotions de La Reine des anges ? Et qu'en pense Jill, la première, la plus sensible et la plus avancées des Intelligences Artificielles ?

  Greg Bear, né en 1951, vit à Seattle. Remarqué dès son premier roman, il est vite apparu comme l'un des maîtres de la science-fiction contemporaine. Dans Oblique, il combine un thriller haletant, riche en coups tordus, et le tableau d'une société de l'avenir proche, à la fois vraisemblable et hallucinant. Tous ses romans, sauf le premier, ont été publiés dans la collection Ailleurs et demain. Il a obtenu les prix Hugo et Nebula.

Sommaire
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1 - Postface (Afterword (Slant), 1997), pages 463 à 463, postface, trad. Jean-Daniel BRÈQUE
Critiques
     Avec Oblique, Greg Bear renoue avec l'univers de La Reine des anges qui est aussi celui de L'Envol de Mars, récemment réédité au Livre de Poche. Vers la fin du siècle prochain, le monde aura beaucoup changé, mais les gens, beaucoup moins...
     En nous décrivant les trajectoires de six personnages, Greg Bear va nous immerger dans cet avenir en proie à une crise majeure. Crise due à l'ambition dévorante de certains qui s'arrogent le droit, la mission, d'améliorer le meilleur des mondes. Le risque étant d'en faire un enfer, puis un désert.
     Dans ce futur qui déjante en attendant de déchanter, coexistent trois catégories de gens classés en fonction de leur santé mentale Les naturels et haut-naturels constituent l'élite saine d'esprit et créative dominante. Les thérapiés, soit la grande majorité, doivent leur santé comportementale à l'action permanente d'implants nanotechnoloçiques – la thérapie – qui agissent comme un super-Prozac, panacée de tous les maux psychiques au prix du conformisme Enfin, les non-thérapiés, asociaux de plus en plus nombreux, descendent des (soi-disant) inemployables d'aujourd'hui ; ils vivent en dehors de l'économie du Dataflot qui ne sait qu'en faire et les gorge de vids et de Yox (média fonctionnant grâce à l'interface directe homme/réseau) le plus souvent porno. Sous ces catégories de santé mentale, les classes sociales – bourgeoisie, salariat et exclus – qu'on reconnaît n'ont vraiment rien de futuriste.
     Alice Grale est une star du Yox qui est allée faire une passe chez le milliardaire Crest juste avant qu'il ne se suicide. Nathan est le concepteur de Jill, la première intelligence artificielle à acquérir (à la dure) de l'expérience relationnelle. Jonathan est un cadre qui voit sa famille partir à vau-l'eau quand sa femme fait une rechute de thérapie et à qui son oncle offre d'entrer dans une mystérieuse organisation qui se propose de remettre le monde en ordre. Jack Giffey, pilleur de tombes en force plutôt qu'en finesse, recourt au nec plus ultra de la technologie militaire ; il entend se faire l'Omphalos, mausolée cryogénique et pyramide en chantier. Martin Burke, créateur de la thérapie mentale, et Mary Choy flic de Seattle dont les enquêtes s'enracinent dans le flux événementiel, étaient tous deux déjà présents dans La Reine des anges.
     La santé mentale – comportementale – s'effondre soudain. Une véritable épidémie de comportements asociaux ou autodestructeurs menace de saper les fondements de la société, bien que seuls les gens ayant subi une thérapie en soient victimes. La conjonction des événements conduira tous les protagonistes dans l'Idaho Vert, état indépendant, très pauvre, mais plus ringard encore, où se dresse l'Omphalos.
     Mine de rien, Greg Bear sacrifie au mélange des genres : ici, SF et roman noir. Il brosse le tableau d'une société où, à travers le crime, sont révélées la perversion et la corruption d'élites aussi dénuées de scrupules que dévorées d'ambition : franchement fascisantes. On admirera l'art avec lequel l'auteur met en scène le recrutement de Jonathan par les Aristos, ou comment un citoyen respectable devient un activiste d'extrême-droite, partie prenante d'une action terroriste.
     Une question transparaît en filigrane de ce cadre futuriste et exacerbé : dans une économie de l'information — Dataflot — où l'activité se résume à la création, la découverte et la décision, que faire de quantité d'individus issus des forces productives et voués à des tâches répétitives ? Les Aristos, qui tiennent le mauvais rôle, suggèrent — et font en sorte — de les abandonner à leurs névroses, leurs dépressions et autres perversions jusqu'à ce qu'ils s'éliminent d'eux-mêmes. Et si, demain, la plus grande partie de l'humanité devenait inutile... ?
     La thérapie est l'autre aspect spéculatif d'Oblique — il faut la comprendre comme psychiatrie, l'interpréter comme prescription de Prozac, plutôt qu'au sens psychothérapie ou psychanalyse ; la nanotechnologie remplace non pas la relation verbale, mais la chimie. L'univers de Greg Bear est ainsi plus proche de celui d'Aldous Huxley que d'un véritable meilleur des mondes. Que penser d'une communauté qui pour fonctionner doit calibrer, monitorer ses membres afin qu'ils tiennent le coup ? C'est le primat de la société sur l'individu, en parallèle avec une béatification pharmacologique Dès lors, la DésAffection se conçoit dans une optique d'externalisation de l'aliénation — s'abrutir devant la télé plutôt que de médicaments. Cette option permet de rester en dehors d'une société d'insatisfaction, mais les élites ne peuvent guère tolérer qu'elle soit bien vécue. Ainsi, chez Bear, nombre de DésAffectés sont réfractaires à la thérapie exigée à l'embauche... Thérapie et Yox porno sont-ils de moindre maux ?
     Le temps et les techniques passent. Le conflit entre société et individus, dirigeants et dirigés, ne perd de sa vigueur que sur le champ des apparences. Si Greg Bear n'a peut-être pas l'art de donner toute sa force à un drame humain, il possède par contre un talent plus que certain pour interroger demain sur les questions d'aujourd'hui. Voilà une fresque sociale et noire d'un futur plausible et trop présent déjà. Le pessimisme de l'auteur n'a rien d'insondable et renforce le réalisme cruel de sa vision d'une humanité en état stationnaire peu susceptible d'amélioration : il fait preuve, envers l'Homme, d'une lucidité dure, loin de tout optimisme béat. Avec Greg Bear, la SF est à son mieux.

Jean-Pierre LION
Première parution : 1/9/1999 dans Bifrost 15
Mise en ligne le : 1/9/2001


     Durant les trois premiers quarts de ce curieux roman, Bear nous fait suivre les histoires parallèles de plusieurs personnages sans lien apparent, dont les trajectoires se croiseront bien sûr pour la conclusion. Mais alors qu'un auteur comme John Brunner utilise ce procédé pour explorer à fond les divers aspects d'une société future, l'ambition de l'auteur semble ici de brosser un tableau de la sexualité de demain.
     En effet, ce qui unit ces personnages, outre le dénouement, c'est l'omniprésence de la relation amoureuse ou sexuelle, qu'il s'agisse de la rencontre entre un voleur et une serveuse, de la peinture de la psychopornographie, des difficultés d'un couple en crise, ou de l'enquête sur un crime sexuel d'une flic mal dans sa peau ... Même Jill, intelligence pourtant artificielle, s'éveille à de troubles sentiments envers ce mystérieux penseur qui la contacte...
     La sexualité est donc le thème central du roman et la justification du titre. « Tout dans l'histoire de l'humanité nous ramène à ce   /  , cette vérité sexuelle essentielle, cette barrière unificatrice entre M et F, cette relation primordiale », écrit BZX dans La vie est un (men)songe, qui ponctue plusieurs chapitres.
     Le propos était donc intéressant, et aurait pu donner un livre original et audacieux... Malheureusement, il parait au contraire bien trop sage et relativement mou. Bear n'arrive pas vraiment à nous surprendre, et il se contente de demeurer à la surface du sujet.
     D'autre part, le roman débute sur un projet de cambriolage et s'achève sur la découverte d'un complot... Si ces péripéties insufflent du dynamisme à l'intrigue, elles s'articulent sans raison évidente et de manière un peu artificielle avec le reste de l'ouvrage : on ne voit guère en effet ce qui dans l'histoire de l'Omphalos soutient la théorie de BZX...
     Enfin ni la thérapie universelle, peu efficace si l'on en croit les échantillons d'humanité présentés, ni la maladie assez incongrue qui affecte certains personnages, ni la nanotechnologie un peu passe-partout, n'aident à renforcer la crédibilité de cette histoire.
     En bref, la démonstration ne s'avère guère convaincante, même si le livre demeure d'un bon niveau et se lit sans déplaisir...

Pascal PATOZ (lui écrire)
Première parution : 15/3/1999 nooSFere


     2051. Mary Choy, qui a quitté la police de Los Angeles pour celle de Seattle, enquête sur des meurtres atroces, dont les victimes sont des prostituées à l'organisme altéré par des nanomachines incontrôlées. Pendant ce temps, à Moscow (Idaho vert), Jack Giffey, un ancien soldat vivant en marge de la loi, se prépare à investir l'Omphalos, gigantesque structure conçue pour abriter les riches ayant opté pour la cryogénisation. De son côté, Alice Grale, « artiste baiseuse » des médias interactifs, est contrainte à des contacts plus personnels avec un client afin de renflouer ses finances. Et quant à ce pauvre Jonathan Bristow, cadre très moyen à la carrière stagnante, il est invité par son ami Marcus Reilly, un homme très influent, à rejoindre les rangs d'une société secrète qui, bien qu'un peu ringarde de prime abord, poursuit en fait des buts monstrueux.
     Ce bref résumé est impuissant à restituer la richesse, la complexité de ce roman, où Bear nous brosse un portrait aussi fascinant que terrifiant du siècle prochain. Bien qu'il ne s'agisse pas à proprement parler d'une suite de La Reine des anges, on y retrouve certains des personnages de ce roman : Mary Choy, qui se pose de sérieuses questions sur ses options de vie, le Dr Martin Burke, créateur du « Pays de l'esprit », et Jill, l'intelligence artificielle, qui se retrouve bientôt au centre de l'intrigue.
     En dire trop sur celle-ci serait déflorer cette vision « oblique » du xxie siècle, mais donnons quand même quelques éléments. Greg Bear a souvent montré qu'il était fasciné par les transformations de l'humanité (qu'on se souvienne de La Musique du sang), et c'est l'amorce d'un tournant qu'il nous décrit ici. Le développement des théories sur l'intelligence artificielle a tout naturellement conduit à des interrogations sur la définition de l'intelligence, et c'est cette idée qui infuse la totalité du récit. Comment se définit un être humain, par son cerveau, sa mémoire ou son affect ? Existe-t-il des formes d'intelligence qui soient à la frange de l'animé et de l'inanimé ? Quel rôle jouent les troubles du comportement dans la construction de l'intellect ?
     Autant de questions posées ici, mais que l'on se rassure  : Oblique, même si son contenu le rend parfois d'un abord un peu ardu, est avant tout un roman, où le suspense est maintenu avec brio et où les scènes d'action — physique et mentale — ne manquent pas. Cerise sur le gâteau : Bear se paie le luxe de renouveler un des clichés les plus éculés de la SF, auquel il confère une vraisemblance à vous faire dresser les cheveux sur la tête.
     Comme dans La Reine des anges (lire la préface de Gérard Klein dans sa réédition au Livre de poche), Greg Bear, s'il s'intéresse à l'inconscient, fait l'impasse sur le freudisme. C'est peut-être la seule réserve qu'on lui opposera, l'option mécaniste n'étant pas encore bien acceptée dans notre culture. Ceci dit, il faut saluer comme il le mérite cet aperçu aussi merveilleux que glaçant d'un avenir dont les prémisses ont peut-être déjà investi notre présent.

Paul DUVAL
Première parution : 1/3/1999 dans Galaxies 12
Mise en ligne le : 25/6/2000


[Chronique de l'édition anglaise parue en juin 1997]

     En 1990, La Reine des Anges 1 mettait en jeu le remarquable talent de Greg Bear dans le domaine de la « hard » Science-Fiction. L'intérêt du roman consistait, plus que dans l'intrigue et les personnages, à exposer les possibilités offertes par la nanotechnologie et la réalité virtuelle dans la transformation de l'Homme.
     Sept ans plus tard, Greg Bear replonge avec Slant dans l'univers de La Reine des Anges, pour cette fois-ci s'intéresser directement à l'Homme. Ainsi met-il autant de soin à dépeindre la toile de fond technologique que la psychologie de ses héros. Slant se présente comme un roman social, la photographie d'une société en crise et minée de l'intérieur.

     Cette société se divise en trois classes. Les Analysés qui constituent l'immense majorité de la population ont eu recours à la thérapie, éliminant, à l'aide d'implants nanotechnologiques, toute forme de troubles mentaux. L'économie est aux mains des Naturels, nés sains d'esprit et qui forment une petite élite ultra-conservatrice. Au bas de l'échelle sociale grondent les DésAffectés. Chômeurs pour la plupart, ils s'abrutissent de Yox, spectacle généralement pornographique relayé directement aux centres nerveux par le biais d'implants.
     Les comportements anti-sociaux se font de plus en plus nombreux et ne sont pas uniquement le fait des DésAffectés ; les cas de rechute après thérapie prennent des proportions inexplicables et la société semble sur le point d'imploser...

     Plutôt que de nous décrire de l'extérieur la déliquescence de cette société, Greg Bear nous en fait mesurer les effets à travers les travaux et les jours de cinq personnages : Alice, star de Yox porno ; Jonathan, Naturel père de famille ; Jack, mystérieux profanateur de sépulture ; Martin, thérapeute de renom ; enfin Mary flic bio-transformée (ces deux derniers personnages étant déjà présents dans La Reine des Anges).
     En dressant le portrait au vitriol d'une Amérique future au bord de la crise de nerf, Greg Bear écorche au passage la société contemporaine déshumanisée, égoïste, méprisant la réalité, d'une grande hypocrisie sexuelle, geignarde et jamais satisfaite. Satire sociale pessimiste et acerbe, Slant révèle véritablement le talent de Greg Bear qui mène son récit avec une précision nanochirurgicale. La tension qu'il instille au fil de sa narration explose en un feu d'artifice d'action qui nous prend par surprise et nous emmène, le souffle court, jusqu'à la dernière ligne.

Notes :

1. Tout récemment réédité au Livre de Poche — ndrc

Sophie GOZLAN
Première parution : 1/10/1997 dans Bifrost 6
Mise en ligne le : 6/11/2003

Critiques des autres éditions ou de la série
Edition LIVRE DE POCHE, SF (2ème série, 1987-) (2004)

     Après La Reine des anges et L'Envol de Mars, Greg Bear poursuit son exploration du milieu du XXIe siècle et de la révolution nanotechnologique. La société est divisée entre les thérapiés (qu'une intervention a prémunis contre tout comportement déviant), les naturels, élite bénéficiant d'un équilibre psychologique parfait, et les autres, les non-thérapiés. Mais cette société, à laquelle manque sans doute un peu d'humanité, est menacée : les thérapiés (concrètement, des citoyens « monitorés » par des implants) sont frappés par une variante du syndrome de Tourette qui désinhibe la personnalité et se manifeste par une logorrhée verbale d'une extrême violence et par une sexualité débarrassée de toute retenue. Le sexe tient lieu de fil rouge à ce récit choral, où nous suivons les destins croisés de six personnages : une fliquette, en proie au doute métaphysique, qui enquête sur la mort atroce de prostituées, un terroriste schizophrène et viril, adepte des armes nanotechnologiques, qui affronte les défenses de l'Omphalos (un mausolée pour milliardaires congelés) comme s'il s'agissait d'un jeu de rôle grandeur nature, une IA (ou « Penseur ») trop humaine troublée par l'intrusion d'un de ses pairs, un célèbre nanothérapeuthe, un cadre dynamique tenté par les délires de son mentor, et enfin une « artiste-baiseuse », actrice porno dans l'industrie du Yox (média de réalité virtuelle utilisé en connexion directe cerveau/réseau) impliquée malgré elle dans une sordide affaire de suicide.

     Comme son modèle Tous à Zanzibar, Oblique voudrait offrir une vision en mosaïque du monde de demain. Mais Greg Bear ne possède, ni le génie, ni les talents visionnaires de John Brunner. Les histoires de civilisation en crise à la merci d'un complot de nantis paranoïaques et illuminés ne sont guère convaincantes, pas plus au demeurant que le dénouement pyrotechnique, très artificiel. De manière générale, les différentes parties sont liées plutôt maladroitement, comme si l'auteur tentait d'assembler un puzzle en forçant les pièces — ce dont Greg Bear est coutumier, soit dit en passant.

     Plus intéressante en revanche est cette vision assez noire de notre avenir proche, dominée par la pensée utilitariste, où l'individu, forcé de se soumettre à la tutelle nanotechnologique pour conserver ses droits élémentaires de citoyen, compte moins que l'équilibre social. Le sexe est alors ici un formidable révélateur de l'atrophie qui menace l'imaginaire individuel dans un univers techno-urbain où l'humanité se dilue peu à peu dans les limbes numériques du Dataflot (équivalent du Web). Gérard Klein, dans sa préface à La Reine des anges, remarquait que Greg Bear avait totalement fait l'impasse sur le freudisme. Oblique rectifie le tir (par des moyens détournés, comme son titre l'indique) en suggérant que l'hypocrisie qui frappe la sexualité (inhibition généralisée — technologique ou psychiatrique- combinée au développement endémique de l'industrie pornographique) aurait des conséquences désastreuses pour l'équilibre social.

     C'est en cela que ce thriller raté est, par défaut pourrait-on dire, une passionnante spéculation futuriste. Que deviendra l'homme tel que nous le connaissons aujourd'hui, dans une société « software » où chaque élément doit servir un but précis ? Greg Bear redoute l'extermination des classes « inférieures » par des puissants (les Aristos) persuadés de l'inutilité du peuple, voire de son inexistence. Il est sans doute l'un des premiers à avoir perçu les lignes de convergence des nanotechnologies et de la réalité virtuelle, d'un point de vue social et politique. On peine alors à comprendre pourquoi l'auteur, si clairvoyant dans sa radiographie de l'Amérique de 2051, se montre aussi timoré dans son expression formelle. Sa façon d'aborder le sexe par exemple, très pudibonde, est en totale contradiction avec son propos. De même, les éructations des victimes du syndrome de Tourette modifié sont systématiquement tronquées — et la justification médicale s'avère sur ce point assez peu crédible.

     Oblique est un donc roman aussi schizophrène que ses protagonistes, complètement inhibé, trop sage, formaté au possible ; il n'en suscite pas moins des réflexions essentielles, à condition de ne pas accorder trop d'importance à un récit très convenu, artificiel et, pour tout dire, mou du genou.

Olivier NOËL
Première parution : 1/3/2004
dans Galaxies 32
Mise en ligne le : 12/12/2008

Cité dans les listes thématiques des oeuvres suivantes
Stups & Fiction - Drogues
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