NOTRE MERE QUI ETES SUR TERRE...
Voici un livre réédité en poche, initialement paru dans sa version française chez Albin Michel en 1974, et dans une collection non spécialisée si je ne me trompe pas (ou bien me gourre-je ?). C'est, aussi, un livre dont je n'avais jamais entendu parler, et pour lequel je n'ai guère lu de comptes-rendus, critiques, et toutes ces sortes de choses, dans la presse, générale ou spécialisée, depuis sa réédition. C'est bien dommage.
C'est bien dommage car voici un très bon roman, comme personnellement je les aime, c'est-à-dire (accrochez-vous à vos godasses) : touffu, dense, généreux, limpide, en douceur, riche, sournois, inquiétant, solide, charpenté, torrentueux, carré, magistral, glissant... et puis aussi cetera. Vous l'avez remarqué : tous ces adjectifs qualificatifs qualifient un peu dans tous les sens et lesdits sens sont parfois contraires. C'est que les termes ne sont pas destinés au même niveau de réflexion.
C'est un roman fantastique, et là encore aux deux sens du terme : le sujet et la qualité. Le thème n'en est pas super-original mais alors là on s'en fout complètement, et de toute façon on ne s'en aperçoit que trop tard, et puis ce n'est pas le thème qui fait la valeur de l'ouvrage dans ce cas précis. C'est la manière. La façon dont tout ceci nous est proposé, décacheté et suggéré à petites touches précises, d'une diabolique habileté. C'est le voile déchiré peu à peu, sans fracas, juste un petit chuintement qui grince parfois, quand il faut, uniquement quand il faut, et nous fait des nœuds dans nos nerfs de lecteurs piégés. La qualité de ce texte, c'est la présence des personnages, capables de tomber tous vivants hors des pages si vous ne prenez pas la précaution de bien refermer le livre ; c'est, traduit avec de bêtes mots au service de tout un chacun, leur poids de sang et de chairs. C'est l'aura du mystère absolu, parce que réel, qu'ils promènent avec eux, derrière leurs paroles et leurs gestes, et qu'on découvre parce qu'ils ont fait un geste de trop, dit un mot de trop. Par mégarde. C'est également le poids du paysage au sein duquel se meuvent ces personnages, c'est l'odeur de la terre, la verdeur lourde de ce coin de Nouvelle-Angleterre, c'est l'immuable défilé des saisons et des coutumes étranges des habitants de ce morceau d'univers — coutumes très étroitement liées aux saisons.
Ce qui fait la valeur de ce livre, c'est son atmosphère : rien de brutal, ni de violent, apparemment. Un masque lisse. Mais sous le masque, attention ! Et lorsque ça craque enfin, comme un orage qui soulage et terrorise en même temps, on se dit : Bon Dieu, oui ! (ou fichtre ! si l'on a un langage châtié). C'était là, ça grouillait, et je n'avais rien vu !
Dans la présentation du livre, il y a cette phrase : Page après page, Thomas Tryon hypnotisa le lecteur, tout en le faisant frissonner, et l'entraîne peu à peu aux confins de l'extraordinaire.
Il n'y a pas d'autres mots. Enfin, si, il y en a, mais ceux-là suffisent amplement et ils sont justes.
L'histoire ? Elle commence comme ça : Un peintre de New York, sa femme et leur jeune fille de douze ans réalisent leur rêve en s'installant à la campagne. Ils trouvent une vieille — mais superbe — maison, dans un village perdu de la Nouvelle-Angleterre...
Et voilà. Doucement, abominablement, c'est parti...