C'était un monde agreste et paisible, peuplé d'esprit, d'elfes et de biches. Et puis les Hommes sont venus, avec leurs chiens, leurs feux, et le cliquetis de leurs armes car, très vite, les tribus se sont fait la guerre.

Les esprits ont fui...

Seule Arafel, l'elfe hardi et fier, n'a pas quitté sa forêt, encore inviolée. Une pierre d'émeraude pâle la protège et elle ne hait pas les hommes.

Alors, quand apparaît Ciaran, un jeune guerrier blessé, elle le secourt et lui offre une pierre de rêve, semblable à la sienne.

Plus tard, il rejoindra Scaga, son allié, mais Ciaran n'est plus le même. Une voix d'elfe parle en lui, Arafel le hante. Et pourtant il aime Brandwyn, la fille de son hôte...

Quel sera le destin de Ciaran, homme double et déchiré ? Qui l'emportera en lui des hommes ou des esprits ?

     Connaissez-vous beaucoup de romans d'heroic fantasy dans lesquels un personnage présenté comme fondamental et articulant le récit se permet une réflexion du genre : « lorsqu'il entendait parler de bravoure, il ne lui venait que des souvenirs de peur et de boue, de froid et de faim » ?

     Comme quoi les choses de la littérature sont loin d'être simples, et même un genre dit « mineur » (méfions-nous des poseurs d'étiquettes !) peut s'avérer capable d'accueillir des préoccupations toutes autres que l'appel au meurtre par héros sanguinaire interposé... Décidément, il faut se pencher d'un peu plus près sur certains auteurs et cesser de croire (comme on l'a cru longtemps pour la SF) que l'heroic fantasy constitue un genre forclos définitivement structuré, dont les archétypes (pardon : les stéréotypes !) seraient les « personnages » de Robert E. Howard. On a beau vendre Cherryh sous un emballage falsificateur (le grand balèze qui combat le dragon), son propos dépasse de loin le cadre du type de récit qu'elle a choisi.

     L'anecdote ici n'a que peu de poids. La pierre de rêve n'est pas un ouvrage écrit dans le sang et la fureur des batailles, même s'il y en a. Son rythme n'est pas celui du récit d'action et d'aventures et ne fonctionne pas sur le principe du rebondissement et de la frénésie. Son rythme est lent, sa structure est toute de digressions, de chemins de traverse, d'apports allusifs à l'univers dépeint. Cherryh respecte la tradition qu'elle a choisi de faire sienne pour ce livre : si elle parle du monde celte et gallois, ce sera sous forme de ballade. Ce livre est païen au sens étymologique : paysan, empreint d'une grande sensibilité envers le pays, la nature, les êtres qui la peuplent — jusqu'aux Elfes, peu à peu rejetés par les hommes, renvoyés au fond des vieilles forêts, dernière demeure du Petit Peuple. C'est pourquoi également il est lent : les saisons et les ans le rythment. Niall Cearbhallain, l'homme du Roi. échappé d'une bataille et de trahisons, se réfugie en une vallée improbable, dans une ferme à l'écart du monde de fer des hommes. Et Ciaran Cuilean, que le prière d'insérer présente comme le « héros » du roman, n'apparaît qu'à la page 158 ! Cherryh a su rendre ce monde à la charnière entre les hommes et leurs prédécesseurs, dans le juste ton de la chanson de geste : l'heroic fantasy conanesque n'a vraiment rien à y voir !

     Le monde celte suscite bien des envies littéraires : si toutes elles pouvaient être de ce poids de poésie...