Un roulement de tambour s'éleva, enfla, persista, lancinant. Bul Isome tenta de ruer, mais le nœud coulant se resserra autour de son cou et il se tint tranquille. Sur l'esplanade, la foule était muette et immobile. Seul le roulement de tambour se faisait entendre, et Jato Salor sut qu'il emporterait dans la mort ce dernier son, car il était clair que l'instant du supplice approchait.
— Mourir ici, maugréa Bul, dans une galaxie Inconnue et loin d' Obicera, ce n'est pas ce dont j'avais rêvé...
— II faut bien mourir un jour, souffla Nadu Onela.
Ils regardèrent Jato Salor, le virent statufié, œil écarquillé vers le ciel que le couchant enflammait, suivirent machinalement ce regard que l'espoir illuminait.
Par-desus les toits plats de Welhhu, le vaisseau spatial « Itanamo » arrivait rapidement, canons désintégrateurs braqués...
Critiques
Le rideau s'ouvre sur la planète Obicéra, qui fait partie de la 612e galaxie. (« En deçà, il y avait la 611egalaxie, puis la 610e. En comptant à rebours, on arrivait à la galaxie numéro Un, à la planète Terre... » : p. 10). Toutes les planètes (qui se comptent par milliards) des 611 galaxies ont été colonisées en quelques milliers d'années par les hommes, et sont toutes surpeuplées. Il en est de même pour Obicera, seule planète viable de la 612e galaxie qui ne compte que des mondes morts, à part une autre planète, Varne, seule planète non explorée de cette galaxie car elle se trouve à son extrémité : au-delà, il n'y a rien qu'un rideau de brume opaque. La première scène fait état du lancement, vers Varne, d'un vaisseau qui navigue à la vitesse de l'Hyper-lumière et peut parcourir la distance qui sépare les deux planètes (soit six millions de « biocromètres »)en une demi-journée environ.
C'est la première fois qu'un vaisseau obicérate est lancé vers Varne, et l'événement, par Véris ! est important : c'est sur Varne que les Obicérates vont peut-être trouver une solution à leur surpeuplement. Car, sur Obicéra, on vit jusqu'à 300 ans. (« On mourait subitement, vers trois cents ans, d'un mal mystérieux et fulgurant qui, en trente secondes, réduisait les corps humains en atomes » : p. 11). Hélas, il se passe une chose surprenante au second acte : Varne n'est autre que le double parfait d'Obicéra et, en même temps qu'un vaisseau partait de l'une vers l'autre, un second vaisseau était lancé de l'autre... vers l'une. Les deux vaisseaux se croisent, se frôlent, s'éraflent même, par Véris ! à l'exact milieu des trajectoires, et le « galaxaute » parti d'Obicéra croit se retrouver sur son monde d'origine, alors que celui parti de Varne a la même impression. Heureusement, leur code génétique est différent, et le stupéfiant mystère est ainsi éclairci. (« Au commencement, la nature a créé l'homme, les arbres, les lacs, les mers et les montagnes. Chaque fois, sa création en était une, car rien ne ressemblait à rien. Puis, comme tout a une tin, la nature se retrouva à court d'imagination et reproduisit l'une de ses précédentes créations, à la manière d'un faussaire pour reproduire un billet, mais ce tut une planète ! » : p. 50).
Bon. Où en étais-je, par Véris ! Oui : le chasse-croisé des deux galaxautes a interrompu le cycle d'existence parallèle des deux mondes, et Obicéra se précipite vers Varne, dans laquelle elle se fond harmonieusement, les deux planètes ne faisant plus qu'une. Reste le fameux rideau de brume . : une nouvelle expédition (troisième acte) est lancée, qui le traverse pour s'apercevoir qu'il masquait une sorte de muraille solide, percée dé trous comme un immense gruyère, et au-delà de laquelle il y a de nouvelles planètes. S'intercale ici un quatrième acte où l'imagination ne déploie plus autant ses voiles superbes et délirants, car la première planète où atterrissent les galaxautes est déchirée par un conflit entre des humanoïdes végétariens et carnivores, dans lequel les Obicérates prennent naturellement une part active.
Le cinquième et dernier acte voit la suite et la fin de la quête. Après quelques manoeuvres stellaires, le vaisseau parvient sur une autre planète : .
« — Il y a tout sur cette planète, Jato !
— Tout, ça signifie quoi ?
— Tout, tout, c'est beaucoup trop pour que je puisse l'énumérer en une phrase ! II y a des molécules, toutes les molécules ; des sons en quantité incalculable ; des couleurs ; toutes sortes de matières végétales, minérales, animales, etc.
— Et l'atmosphère ?
— Elle existe à égalité avec la chromosphère, la stratosphère, la mésosphère, la troposphère, la thermosphère, etc. « (p. 210).
Sur cette planète, existent les doubles des galaxautes qui vivent à l'état sauvage. Et les doubles se fondent aux Obicérates, lesquels régressent jusqu'à l'âge de pierre. Fin, le rideau tombe... Par Véris ! quelle chute...
Il s'agissait du Rideau de brume, premier roman d'anticipation du fécond André Caroff, qui nous donne Ici l'occasion du meilleur fou rire pris en dix ans dans le domaine de la science-fiction. S'il s'agit véritablement d'un gag, c'est gagné... Si l'ouvrage, au contraire, sa veut sérieux, C'est très grave, car alors ce serait la preuve que quelqu'un est fou : ou bien c'est moi, pauvre critique, ou bien c'est André Caroff, ou bien c'est le lecteur des éditions du Fleuve Noir qui a accepté cettechose. Comment savoir ?
En place pour un nouveau et rapide check-up de la collection Lendemains Retrouvés, le dernier datant déjà d'une dizaine de mois (Fiction 296 exactement, comme le temps passe !).
Après un curieux début où il est question de planètes symétriques et qui n'est pas sans rappeler le méconnu film de Robert Parrish Danger : planète inconnue (Journey to the far side of the sun — 1969), Le rideau de Brume d'André Caroff s'enlise dans un space-opera totalement abracadabrant et dénué d'intérêt.
Au suivant, comme dirait Brel ! Rééditer les romans de Maurice Limat est une plaisanterie de bien mauvais goût. Le carnaval du cosmos s'acharne — et parvient — à gâcher une idée (le vol de visages par des Non-Vivants) qui aurait pu donner quelque chose sous une plume moins détestable. Quant à Moi, un Robot il s'agit d'un ouvrage extrêmement déplaisant qui, à travers la révolte opposant les Humains à leurs maîtres Robots, est, en fait, un sinistre manifeste pour l'élimination de tout ce qui n'a pas d'« âme ». Sous couvert d'humanisme, bien entendu.
A rééditer de telles nullités, la collection Lendemains Retrouvés ne se justifierait absolument pas... s'il n'y avait, heureusement, les autres, les Steiner, Suragne, Vandel, Thirion, Wul... Quoique pour Wul on arrive au bout du rouleau, Odyssée sous contrôle étant le dernier des cinq romans de l'auteur dont le Fleuve possède encore les droits 1. C'est aussi le dernier des onze romans écrits par Wul à la fin des années cinquante pour la collection Anticipation, une classique histoire d'espionnage interstellaire, distrayante sans plus et qu'un coup de théâtre final sauve de la grisaille.
Wul nous quitte et Thirion arrive, non avec un inédit comme pourrait le faire penser la coquille du copyright (1979 au lieu de, 1971), mais avec la reprise d'un de ses meilleurs romans, Sterga la Noire. Le commodore Jord Maogan a disparu du côté de la planète-usine Sterga. Or celle-ci appartient au groupe industriel Mac Dewitt, troisième société mondiale qui produit à elle seule 30% du produit cosmique brut, trust stellaire que le génocide n'arrête pas et qui ne songe qu'à « exploiter les planètes jusqu'à l'os pour les quitter ensuite ». Parti à la recherche de Maogan, Stephan Drill devra faire face aux robots méduses de Sterga la Noire et à la féroce milice de Mac Dewitt, mais aussi affronter une extraordinaire réalité qui le mènera aux confins de la folie. Un solide space-opera politique aux intonations vanvogtiennes et une réédition qui, celle-là, s'imposait. A quand Ysée-A et Métrocéan 2031 ?
Curieux Steiner que cette Menace d'Outre-Terre, récit rocambolesque et teinté de surréalisme où les individus, perdant une dimension, deviennent plats comme des limandes et où les Omégas, entités d'un univers parallèle, s'amusent à se métamorphoser continuellement. L'oreille de Kurt Dupont, alter ego de Steiner et futur collaborateur à Hara-Kiri (mensuel), pointait déjà sous le vernis pseudo-scientifique de rigueur à l'époque !
Quittant les bouges de Targa la Maudite, Mal lergo le dernier des Phasiens, Fayol Rhaâ « la chose qui vit » et Phyrgom le Loksien se dirigent vers les montagnes d'Agur, là où sont cachées les fabuleuses richesses de Crayor. Mais cette course au trésor cache un terrifiant secret et l'expédition se terminera de tragique manière. Quelque peu marginal par rapport à la thématique habituelle de l'auteur, Mal lergo le dernier est un mineur mais très honnête Suragne, fertile en rebondissements.
Jean-Gaston Vandel, on le sait, est le pseudonyme de Jean Libert et Gaston Vandenpanhuyse, deux vieux amis d'enfance nés à la même année (1913) à Bruxelles. Des Chevaliers de l'espace (1952-FNA n° 7) au Troisième Bocal (1956 — FNA n° 77), nos deux auteurs ont écrit vingt romans pour la collection Anticipation, puis se sont tournés vers l'espionnage, sous le nom de Paul Kenny. La réédition actuelle des œuvres de Jean-Gaston Vandel dans la collection Lendemains retrouvés 2 permet de redonner à cet auteur, tombé quelque peu dans l'oubli, l'importance qu'il mérite.
L'humanité court à sa perte, telle est l'obsession de Vandel. Gangrenée par la guerre, la folie des hommes, le mauvais usage de la Science, elle risque de ne pas accéder au Troisième Age, celui des Lumières et de toutes les Félicités. Ne faisant pas confiance dans le peuple, Vandel fait appel aux extra-terrestres pour sauver la Terre (Les Ktongs des Titans de l'énergie, Avorus et les siens dans Incroyable Futur) ou à une « force occulte et élitaire » (Le satellite artificiel, suite des Chevaliers de l'espace). Dans son excellente et très longue étude sur l'auteur 3, Jean-Pierre Andrevon met en lumière les lignes de force du « désir » politique profond de Jean-Gaston Vandel :
« — Les dictatures sont renversées, non par le peuple mais par une force d'avant-garde consciente de son élitisme ;
— Les dictateurs sont remplacés par un autre chef absolu mais qui, lui, œuvre pour le bien ;
— Le centralisme dictatorial est remplacé par le mondialisme ». Bref, toutes les caractéristiques d'un dangereux révisionnisme qui accepte d'asservir l'homme « pour son bien » et le confine dans ce qu'Ira Levin a appelé un « Bonheur insoutenable ». Mais, indispensablement replacé dans le contexte des space-opera bellicistes et impérialistes des Fleuve Noir de l'époque, cette recherche du « meilleur des mondes » possibles peut être assimilée à un touchant humanisme, « dont la naïveté est à la mesure de la grandeur » 4.