Le Xawor se présentait comme une boule de tentacules lisses et trapus, analogues à ceux des anémones de mer terrestres ; juché sur l'un d'eux, un Wok-wok dormait profondément.
Le gérant saisit un tentacule et le serra brièvement. Un geste bien humain.
— Bienvenue sur Achernar VI, M. Talon. Avez-vous fait bon voyage ?
— Excellent, bâilla l'oiseau Wok-wok. L'édition originale de Tintin au Pays des Soviets est-elle arrivée ?
— M. Viper l'a apporté en personne.
Je m'approchai du Xawor et saisis à mon tour un des tentacules, affichant mon sourire le plus protocolaire. Talon frémit. Le Wok-wok s'ébroua, déséquilibré.
— M. Viper, dit-il d'un ton froid, je vous prierai de lâcher mon sexe mâle gauche. Est-ce ainsi que vous saluez chez vous ?
Auteur d'une quarantaine de romans et de près de cent nouvelles, Roland C. Wagner est responsable de la rubrique Science-Fiction de Casus Belli. Ses univers frappadingues et colorés, peuplés de personnages aussi loufoques qu'extravagants, lui ont valu cinq Prix Rosny Aîné et le Prix Ozone 1998.
Une première version de ce roman, signée sous le pseudonyme Red Deff, est parue sous la forme de deux volumes intitulés Viper et Ganja.
Critiques
Peut-être suffira-t-il de rappeler qu'à sa parution, ce roman était signé Red Deff, pseudonyme qui vaut d'être énoncé à haute voix. Ou que tout commence quand un extra-terrestre aux ocelles pédonculées, nommé Achille Talon, venu toucher un an du loyer d'une planète sous la forme d'une édition originale de Tintin au pays des soviets, voit un humain empoigner son sexe mâle gauche sous prétexte de lui serrer la main, et, surtout, est mis involontairement en présence de fumée de tabac, laquelle déclenche un processus explosif de parthénogenèse, et expédie quelques milliers de bébés dans tous les azimuts. Peut-être faudra-t-il rappeler que le personnage principal doit entre autres sauver la Sinsé, herbe bénéfique de la Nieuw-Amsterdam menacée par de sinistres « Clowns gris ». Ou que la biopuce géniale et impertinente qui l'accompagne, ancêtre manifeste de l'Aya Gloria des Futurs Mystères de Paris, s'appelle Ganja. Mais on l'aura compris, Wagner s'amuse, multiplie les gags et les clins d'oeil, réussissant toutefois à ce que ce ne soif jamais aux dépens de l'intrigue, et insiste joyeusement sur l'usage de produits moins toxiques qu'illégaux sur certaines planètes. Les deux volumes originels, Viperet Ganja, étaient à peu près introuvables, même chez les bouquinistes. Bref, c'est une réédition particulièrement bienvenue. Lisez ce livre, et une fois que vous l'aurez lu, faites tourner.
En quelques mots, il s'agit d'une histoire loufoque, où les planètes se louent à coup d'édition originales de BD, où la cigarette fait accoucher les aliens, où les biopuces prennent leur pied avec les vaisseaux spatiaux, etc...
Sérieux s'abstenir : on est davantage dans le domaine de Sheckley, Lafferty ou Sladek que dans une SF sérieuse... L'intrigue n'est ici guère qu'un prétexte, mais pour autant, le récit est mené rigoureusement et sans incohérence, avec le savoir-faire que l'on connait chez Wagner.
Il s'agit donc d'un sympathique space opera, mêlé d'une satire sociopolitique rigolote (la planète "Spirit of America" est peuplé de "clown gris" qui constituent un état militaro-commercial puritain tandis que la planète "Nieuw-Amsterdam" commercialise une herbe/drogue dont les qualités semblent s'améliorer avec le temps...).
L'amateur de SF s'amusera en outre à repérer les multiples références, parmi lesquelles le nexus 6, le lapin blanc qui connait des problème de stabilité dimensionnelle, Rukku-Tukku-Tuvu... plus les innombrables noms d'auteurs de SF qui parsèment le texte, déguisés ou non...
Voici donc un fort agréable moment de lecture, sans prétention si ce n'est celle d'amuser, ce qui n'est pas si fréquent dans la SF francophone.
Une excellente occasion de découvrir la nouvelle collection de Nestiveqnen, Horizons futurs, très agréablement présentée et d'un prix fort abordable.