«Je vis une forme couchée dans un lit. Je ne sus décider tout de suite s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme. En fait, je doutai tout d'abord qu il s'agît d'un être humain, mais je sus peu après que c'était bien un homme, pour la simple raison qu'il était impossible qu'une telle créature fût féminine. Les draps étaient tirés jusqu'à ses épaules et seule sa tête était visible. Il était étendu sur le côté, la tête reposant sur sa main gauche, immobile, me dévisageant comme s'il essayait de lire au tréfonds de mon âme. Et, en vérité, je crois bien qu'il y parvint. »
Pourquoi un homme politique jeune et brillant, qui doit son succès à son extraordinaire présence d'esprit, s'effondre-t-il, en proie à une terreur abjecte, en entendant prononcer le mot « scarabée » ? Une mystérieuse créature, venue des profondeurs du temps et de l'Egypte, apporte la mort et l'horreur au cœur de Londres, à la fin du XIXe siècle. Aucun des personnages qui auront à subir les hideuses relations qu'elle leur impose n'en sortira indemne. Pour certains, ce sera la mort physique après d'atroces souffrances, pour d'autres, le souvenir ineffaçable d'une répugnante sujétion aux rites d'un culte innommable.
En 1897, paraissent deux romans qui s'inscrivent en tête des grandes œuvres d'imagination. Il s'agit de Dracula de Bram Stoker et du Scarabée de Richard Marsh. Tous deux connaissent un remarquable succès populaire. Il nous est apparu indispensable de remettre à disposition des lecteurs français cet ouvrage qui rivalisa en son temps avec Dracula, et que Lovecraft cite parmi les plus grands thrillers fantastiques.
Injustement méconnu en France, Richard Marsh (1857-1915), est un écrivain anglais à redécouvrir d'urgence. Excellente idée, donc, de rééditer Le Scarabée, un roman paru en 1897, mais d'une modernité étonnante, et qui fait de Richard Marsh un authentique précurseur du thriller fantastique contemporain.
En plein cœur de Londres, à la fin du XIXe siècle, une étrange créature apparaît. Venue d'Egypte antique, elle semble avoir traversé le temps pour accomplir une terrible vengeance. L'objet de toute sa haine est un certain Paul Lessingham, un jeune politicien, brillant orateur, promis à un grand avenir. Mais sous son apparence de citoyen irréprochable, Lessingham ne cache-t-il pas un lourd secret ? Tapie au fond d'une maison abandonnée, la créature dresse son plan d'attaque. Pour Paul Lessingham et son entourage, l'épouvante commence...
Et c'est parti pour 386 pages d'une course-poursuite haletante. Car Marsh est un écrivain pressé : une intrigue énergique, une écriture nerveuse, enlevée. Des chapitres courts, des rebondissements incessants. Tout est fait pour que lecteur, hypnotisé mais ravi, soit dans l'incapacité physique de lâcher ce livre avant d'en connaître la conclusion. Et de ce point de vue, Le Scarabée, malgré son grand âge, n'a rien à envier à certains thrillers fantastiques actuels. Mais Marsh n'est pas seulement un écrivain pressé, c'est un écrivain malin. Aussi construit-il son intrigue. Le roman se divise en quatre parties, et à chaque partie le narrateur change. Le procédé n'était pas nouveau à l'époque (Wilkie Collins, entre autres, l'a beaucoup utilisé), mais Richard Marsh le fait très intelligemment : les quatre récits successifs se complètent, s'enrichissent mutuellement, et les personnages du roman y gagnent en complexité. Il a aussi la bonne idée de faire que le narrateur de la quatrième et dernière partie soit un personnage nouveau, jusqu'alors totalement extérieur à l'action ; ce qui donne à son point de vue une distance bienvenue. Bonne idée, d'autant plus qu'il s'agit d'un détective privé. Résultat, cette dernière partie a un petit côté « enquête à la Sherlock Holmes » très excitant.
L'autre curiosité de ce roman, décidément plein de surprises, c'est le contenu sexuel très explicite de certaines scènes (et notamment celles où la créature apparaît pour la première fois). D'ailleurs, sous prétexte que cette créature se métamorphose à volonté, Richard Marsh s'amuse, tout au long du récit, à entretenir une certaine ambiguïté quant à l'identité sexuelle réelle de la créature. Mâle ? Femelle ? Difficile à dire... Dans l'Angleterre très puritaine de l'époque, il fallait oser ! Richard Marsh est donc aussi, à sa manière, un écrivain courageux.
Autant de raisons de se ruer sur cette réédition. En attendant — avis aux éditeurs — une édition française des autres romans fantastiques de Richard Marsh.