En 2005, on célébrera le centième anniversaire de la mort de
Jules Verne. Amateurs de SF, le moment est propice pour prendre un peu d'avance sur le commun des lecteurs. Jean-Michel Margot compte parmi les meilleurs connaisseurs du monde vernien. Président de la
North American Jules Verne Society, cet ingénieur suisse, établi aux États-Unis, est l'un des plus grands collectionneurs privés de l'œuvre du grand conteur français. Il a d'ores et déjà passé un accord avec la ville d'Yverdon-les-Bains pour que sa prodigieuse collection (plus de dix mille documents) soit, à terme, léguée à cette ville et hébergée à la Maison d'Ailleurs, le musée de la science-fiction, de l'utopie et des voyages extraordinaires. Jean-Michel Margot n'est pas un collectionneur exclusif. Ses documents servent en priorité aux chercheurs. Auteur lui-même d'une cinquantaine d'articles, il était jusqu'ici surtout connu pour sa
Bibliographie documentaire sur Jules Verne (Amiens : Centre de Documentation Jules Verne, 1989) où il recense tous les articles et ouvrages écrits sur Verne depuis 1854. Au documentaliste réputé s'ajoute maintenant un anthologiste avisé.
Jules Verne en son temps donne à lire soixante-deux articles rédigés par des contemporains de Jules Verne. En guide éclairé, érudit et passionnant, Jean-Michel Margot explique en quelques phrases, au début de chaque article retenu, ce qui en fait la spécificité.
Agrémenté de documents iconographiques, le livre est organisé en plusieurs parties qui retracent la vie et l'œuvre de l'écrivain depuis 1864, une année après la parution de
Cinq semaines en ballon, à 1905, année de sa mort.
Sans déflorer le livre, amusons-nous à repérer quelques points de vue piquants. Optons pour quelques morceaux choisis en rapport avec la SF. Sans le dire ainsi, car il ne le pouvait pas,
Théophile Gautier (1866) voit déjà que Jules Verne est un écrivain de science-fiction, en associant ses écrits à ceux de
Lucien,
Poe et
Swift. Olivier Renaud (1874) se fait l'auteur d'une belle expression en déclarant que Verne a créé «
le roman électro-géographique ». Selon
Jules Claretie (1875), Jules Verne est un homme heureux :
« Il est, à l'heure où nous sommes, quelque chose comme l'Alexandre Dumas de l'improbable, et le Walter Scott attachant des mondes inconnus. » Claretie, amateur de comparaison écrira en 1883 :
« Je ne m'étonne pas que Dumas fils aime Verne ; Verne est une sorte de Dumas père au téléphone ». Parmi les meilleurs textes, celui de Gaston de Saint-Valry (1875), tout de lucidité et de modernité, associe le merveilleux aux écrits de Verne ;
il parle de
« féerie scientifique ». Sa définition de la science-fiction est un peu lourde et complexe, mais elle est bel et bien là ! Paul Hippeau (1880) affirme :
« Il a été le créateur d'un genre (...) ». Pour Stanislas Rzewuski (1900),
« Jules Verne a eu à la fois la chance et l'inappréciable mérite de créer un genre littéraire nouveau, une forme d'expression artistique inconnue avant lui (...) ». Henri d'Alméras (1903) tente à son tour de donner une histoire de la SF avant la lettre. Enfin, terminons cette énumération (Jules Verne aimait bien ça) par ce commentaire d'un auteur anonyme (1905) :
« Ce n'est pas seulement une figure amiénoise qui disparaît, — c'est un genre littéraire qui s'éteint avec son créateur et qui ne sera probablement pas continué ». On comprend pourquoi ce commentateur tenait à rester anonyme : il n'était pas visionnaire, lui...
Jules Verne en son temps est un ouvrage érudit qui se lit avidement. Non seulement le romancier s'y dévoile, mais aussi le dramaturge à succès. Ses pièces à grand spectacle, notamment
« Le Tour du monde en 80 jours » au Châtelet, lui ont apporté richesse et célébrité. On y apprend son goût pour les voyages, on vogue avec lui sur son bateau, le
Saint-Michel III, on découvre cet homme affable, travailleur, discret. On suit ses relations avec son éditeur,
Hetzel. On assiste aux bals masqués qu'il donne. On sait enfin pourquoi le Coca Cola est d'origine corse. On comprend comment de créateur d'un genre littéraire nouveau il se verra relégué au rang d'écrivain pour enfants et de visionnaire (ce qu'il s'est toujours défendu d'être). Bref,
Jules Verne en son temps est un livre indispensable pour qui veut comprendre la vie et l'œuvre de cette star du dix-neuvième finissant que fut l'auteur le plus traduit au monde. J'ai lu
Jules Verne en son temps. Je suis fin prêt pour briller dans les salons, l'année prochaine. Rejoignez-moi.