Alice est une spécialiste de la physique des particules. Dans son laboratoire, elle a réussi à capturer le Néant. Mais ce non-être, bien que dépourvu d'existence, semble doué d'une sorte de personnalité. Passionnément attirée par cette nullité, Alice provoque chez Philip, son fiancé, une intense jalousie doublée d'un sentiment d'impuissance : comment battre un rival sans défauts — puisque sans qualités ?
« Pris dans cette histoire loufoque, Philip déploie des stratagèmes dignes d'un roman de Lewis Carroll. Un adultère drôle et excentrique. » Christophe Tison, Cosmopolitan.
« Au croisement de la S.-F. métaphysique et de Lewis Carroll, Jonathan Lethem (Bret Easton Ellis en est fan) conjugue loufoque et logique implacable. » Frédéric Beigbeder, Voici.
Remarqué avec Flingue sur fond musical (voir nos « Lectures » dans Galaxies n° 3), un polar futuriste et référentiel assez enlevé, Jonathan Lethem récidive avec Alice est montée sur la table, un roman étrange qui choisit un postulat de départ proprement délirant : une équipe scientifique — des physiciens des particules — parvient à capturer le Néant. La chose est vite baptisée « Lac » mais son comportement mystérieux — elle absorbe des objets et en refuse d'autres — soulève de nombreuses interrogations. Alice, l'auteur de cette découverte, aussitôt prise de passion pour son sujet d'observation, annule ses cours et déserte l'appartement de Philip, son compagnon, vite pris dans les affres de l'incompréhension puis de la jalousie.
Parmi les nombreuses question existentielles qui parsèment la quête du héros, prenons-en une au hasard : « Combien d'accessoires, de chats, de sacs, d'épouses en partance pour le diable vauvert ? » Tout est à l'avenant. Situations loufoques, paradoxes divers et interrogations non sensiques sur le sens de la vie se conjuguent pour faire du roman un curieux remake d'une Alice au pays des merveilles relookée physicienne en dérive... Satire du fonctionnement de l'univers des laboratoires de recherche, galerie de personnages déphasés et quête initiatique se mêlent ; Philip, lui, s'intéresse à la seule chose qui lui tienne à cœur : la reconquête d'Alice. Mais comment lutter avec un Objet Physique Non Identifié ?
Histoire romantique un peu atone, Alice est montée sur la table laisse perplexe. Tous les ingrédients d'une bonne histoire sont là. Mais il manque comme une étincelle, une vraie folie, une narration plus enlevée peut-être ? À moins que choisir le Néant comme utilité romanesque ne puisse que difficilement provoquer l'enthousiasme ? Lac finit par écraser tous les personnages, et Alice la première. Seul celui de Philip attire l'intérêt du lecteur, même si on ne comprend guère pourquoi sa physicienne lui inspire une telle passion... Pourtant, on ne doute pas un instant qu'on tienne avec Jonathan Lethem un auteur à suivre.
Le nouveau Lethem — en attendant la traduction de Girl in the Landscape et de son polar Motherless Brooklyn (aux Éditions de l'Olivier) qui fit un carton aux USA — est un livre de fiction sur la science et non un livre de science-fiction. Il s'agit de la description d'un triangle amoureux :
1) Philip Engstrand (le narrateur) dont les rêves sont pour le moins étranges — « Je me réveillai dans les affres d'un rêve terrifiant mêlant des cannibales, des nuages de poussière et mon répondeur téléphonique » — aime Alice Coombs.
2) Alice Coombs aime Lac, une parcelle de non-être, une bulle de pseudo-vide créée par le Professeur Soft, inadapté social cela va sans dire (le professeur Soft, pas la bulle de non-être). Ce qui n'empêche pas Alice de vivre avec Philip Engstrand, puis de faire semblant de vivre avec lui...
3) Jusqu'à présent une bulle de non-être n'a jamais aimé personne, mais Lac (surnom masculin donnée à cette vacuum intelligence) est différent : traversé à fins expérimentales par un tas d'objets personnels et autres (dont un chat de laboratoire) il avale la clé de l'appartement d'Alice Coombs, le chat, des fraises, etc. et rejette presque tout le reste dont, crime ultime, Alice...
Donc la description d'un triangle amoureux pour le moins original sur lequel se greffent un duo d'aveugles — un noir, un blanc — , quelques éléments loufoques inhérents à tout campus en pleine activité universitaire, plus une couche de physique quantique sauce Lethem. Beaucoup d'humour, un hommage permanent à Lewis Carroll, des clins d'œil à David Lodge, agitez et servez sans attendre. Mais au-delà des rares passages hilarants, comme l'arrivée des aveugles chez Philip et Alice, voilà un livre au style souvent brillant, parfois gratuit, qui ne va pas aussi loin qu'on aimerait. C'est un synopsis de Greg Egan développé par un Woody Allen sous LSD : étrangement, on aurait aimé lire l'inverse. Ceux qui n'ont jamais lu Jonathan Lethem préféreront sans doute découvrir cet auteur en passe de devenir incontournable avec Flingue sur fond musical (J'ai Lu), d'un bien meilleur rapport qualité-prix.