Dans une période de crise, où crèvent des collections, on se réjouira d'en voir poindre une nouvelle, et qui clame son attachement à la SF. Les couvertures sont assez peu explicites mais leur fond jaune vif se voit de loin et fait fortement ressortir les noms des auteurs. Pour le reste, c'est format poche, inédit, francophone, et voué à la novella, distance parfaite pour le genre mais trop brève pour le volume ordinaire et souvent trop longue pour les revues.
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Jérôme Leroy, lui, explore un futur proche, fort peu avenant — celui qui a conduit au cataclysme sus évoqué. Ceux qui connaissent déjà ses textes et n'ont pas aimé pourront passer leur chemin, mais les autres auront ici une excellente occasion soit de le découvrir, soit de le retrouver avec le plus grand plaisir, qu'ils partagent ou non ses craintes et ses colères (on signalera aussi la réédition de
Big Sister, chez
1001 nuits). Ceci même si (ou parce que) ce qu'il décrit est peu réjouissant : effet de serre, pollution, surmédicamentalisation, puritanismes, tendance à exclure la sexualité autre que virtuelle, déglingue, apartheid social séparant les territoires des Inclus et des
Outers, avec guerres civiles à la clé dans des « eurorégions » où libéralisme économique et répression militaire font fort bon ménage. Et au milieu, fossile d'un temps révolu et porte-parole de l'auteur, on suit un enseignant en littérature, en fac après un sacerdoce désespéré dans des lycées sponsorisés-privatisés, cultivant une sensualité non refoulée ainsi que la nostalgie pour les livres, pour des auteurs parfois peu recommandables mais formidablement talentueux, Chardonne, Larbaud ou Morand, et surtout englué dans ses souvenirs, pris aussi dans les engrenages de l'histoire... Tout cela est sombre, désespéré, reprend et concentre des éléments déjà présents par exemple dans
Bref rapport sur une très fugitive beauté, paru aux
Belles Lettres en 2002, mais avec une densité, une efficacité telles qu'on n'a jamais de sentiment de redite, et qu'on se prend à cette chronique d'une catastrophe annoncée, aussi prévisible, aussi évidente que l'autorise un suspense maintenu jusqu'au bout du récit. Et au-delà même de l'histoire, un nom de personnage rappelle l'ombre d'
André Hardellet, immense écrivain oublié, fasciné par le temps, les souvenirs et l'irrémédiable perte du passé.
Faut-il mettre les points sur les i ? Dire qu'il y a plus de choses dans chacun de ces deux courts volumes que dans maintes tétralogies tératologiques ou autres préquelles ? Qu'il faut les acheter ? Que cette collection est ces temps-ci une des très rares bonnes nouvelles nous arrivant du monde de l'édition ? Qu'elle mérite, plus que de l'attention, un succès assurant sa pérennité, pour les auteurs et pour les lecteurs ? C'est dit. Donc, à vous de chercher le jaune fluo dans votre librairie.