Ian Watson, l'auteur de
L'enchâssement, est trop rare pour que la parution d'une novella et d'une nouvelle, même publiées par un éditeur confidentiel comme Dreampress.com, ne soit pas signalée. D'autant que ladite novella,
La Voix de Wormwood (« A Speaker for the Wooden Sea », 2002), est un petit chef-d'œuvre à l'enthousiasme communicatif, à la fois discret hommage à la science-fiction de l'âge d'or et passionnante variation autour de thèmes chers à la SF moderne. Et si je vous dis que la (courte) préface est signée Robert Sheckley, et que le livre se conclut par une amicale postface de Ian Watson
himself ? Hum ?...
Lustig Firefox, secondé par sa « Compagne » nanotechnologique Lill (IA / ange gardien connectée à l'hyperlib), est chargé par un consortium interstellaire d'enquêter sur la possibilité d'exploiter les ressources de la planète Wormwood, presque entièrement constituée d'un océan de bois (oui, de
bois !), dont les feuilles permettraient de produire de grandes quantités d'absinthe. Firefox s'installe au
Relais de la mer, établissement tenu par Mme Bonaccueil et sa fille Généreuse. L'aventurier originaire de Pancake (sic) s'intègre si bien à la rustique population locale, qu'il convainc même Thurible Excelcior, le Gardien de la Lumière, de lancer une expédition en mer. En fait, une chasse aux vers géants. Et c'est alors que Lill détecte en Wormwood une « forme de conscience globale »...
Chez Watson, tout est langage. Comme l'explique le narrateur, l'origine même du nom Wormwood désigne à la fois le bois,
wood, et les vers,
worms, et l'Herbe aux vers, l'armoise amère. Et les tunnels creusés par les vers renvoient directement aux « trous de ver » précisément utilisés par Firefox pour rejoindre cette planète isolée (l'hyperconscience née de la fusion de Lill et de Wormwood, projette d'investir les étoiles
via ces trous de ver). Bien sûr, on pense aux vers géants de
Dune, à l'océan conscient de
Solaris ou au varech intelligent de
L'effet Lazare. Et à beaucoup d'autres. Et même à
Moby Dick, pour sa portée symbolique et philosophique. Ian Watson, qui se réfère ouvertement, et depuis longtemps, à Raymond Roussel et aux surréalistes, nous offre une lecture à plusieurs niveaux. Construite par associations d'idées,
La voix de Wormwood, d'un certain point de vue, est en effet une histoire... de cul. Ou plutôt, soyons précis, une histoire de bits (et de bittes), donc de bites, et de trous, comme en atteste ce subtil extrait : « Le globe continue à planer, reflétant des myriades de... /
Fragments d'information — des bits. / Qui, j'imagine, passent dans les circuits du bois planétaire ». Mais ces jeux de langue ne sont jamais gratuits : au terme du voyage, après avoir frôlé l'Apocalypse — comme chez Melville, la nature, que la raison ne saurait circonvenir (qui a dit : circoncire ?...), reste une étrangère mortellement dangereuse -, Firefox revient au bercail avec une femme et un fils dont l'ADN pourrait bien se révéler lucratif. Entre autres...
Le deuxième texte,
Le Passeur (« Ferryman », 1996), s'intéresse, non sans humour, au sort d'une poignée d'éboueurs de l'espace chargés de convoyer au Cimetière les milliers de cercueils métalliques renfermant des cadavres extraterrestres qui encombrent le système solaire. Entre les deux civilisations, la communication est rude. Surtout quand l'une des deux ne nous envoie que ses morts... Moins mémorable que
La Voix de Wormwood mais brillamment mené,
Le Passeur est un peu la cerise sur le gâteau.
Certes, quinze euros pour deux nouvelles et une centaine de pages (émaillées par endroits d'agaçantes coquilles), c'est un peu cher. Certes, la couverture est tellement laide qu'on prend un plaisir masochiste à l'exhiber sous les yeux des trop sérieux lecteurs des
Bienveillantes dans le train. Mais entre nous, un texte d'une telle qualité, aussi frais et dépaysant qu'un bon vieux
space op', aussi intelligent que l'était
L'enchâssement, et qui, pour couronner le tout, réussit à convoquer plusieurs œuvres-clés de l'histoire de la SF sans jamais céder à la vanité de la citation postmoderne, mérite vraiment que vous vous connectiez toutes affaires cessantes, carte bancaire à portée de main, à l'url : http://www.dreampress.com/ian_watson.htm. Ouste.