L'âme du Solitaire de Providence semble bien avoir fusionné avec celle de l'Érudit du Bénin !
Jacky Ferjault s'est plongé avec fièvre dans le flot colossal de la correspondance de H.P. Lovecraft, et cette autobiographie imaginaire constitue la première manifestation, mais non la seule, de sa quête minutieuse. Patience... D'autres surprises sont à venir.
Basé sur des lettres le plus souvent inédites en français, ce portrait fait découvrir un Lovecraft humain, drôle et spirituel, conscient de ses propres contradictions et curieux du monde moderne. L'exact contraire de l'image de spectre pâle ou d'ésotériste triste que traîne encore ce maître de la littérature fantastique et de science-fiction, du fait de certains thuriféraires mal informés.
Lovecraft se plaisait à dire : " Je suis Providence ".
De Jacky Ferjault, on pourra désormais — presque — dire : " Il est H.P. Lovecraft ".
1 - Joseph ALTAIRAC, La Vie simple de Howard Phillips Lovecraft, pages 5 à 5, préface
Critiques
C'est à une bien curieuse expérience littéraire que nous convie Jacky Ferjault : il s'agit de rien de moins qu'une autobiographie posthume ! Qui plus est, celle d'un des géants de la littérature fantastique et de science-fiction : H.P. Lovecraft. Pour ce faire, l'auteur s'appuie sur l'énorme correspondance de l'écrivain, estimée à plusieurs dizaines de milliers de lettres. Ferjault intercale ainsi des extraits de courriers véridiques de Lovecraft parmi des pages de journal intime écrits de sa plume. Le passage de l'un à l'autre se fait-il bien ? La réponse est affirmative, puisque Ferjault a su adopter le style de Lovecraft, jusque dans sa préciosité et sa froideur. Même si certaines lettres d'HPL sont difficilement intégrables dans le court du récit, et font un peu pièces rapportées à la lecture, globalement c'est une réussite.
Reste à savoir quelle est la part de la fiction et celle de réalité dans cette autobiographie. Gageons que l'auteur a somme toute inventé peu de chose, puisque Lovecraft, dans ses nombreuses lettres, se plaisait à décrire en détail ses occupations, ses rencontres, ses observations. Et ceux qui ne connaissent d'HPL que son surnom de « reclus de Providence » seront surpris de ses excursions sur la côte Est et à Québec avec ses amis, ainsi que de sa compréhension du monde environnant, qu'il analyse souvent avec finesse. Nous voilà bien loin de cette réputation d'ermite inapte à toute vie sociale que Lovecraft traîna longtemps. Toutefois, seuls ceux qui ont une connaissance parfaite de la vie de Lovecraft sauront démêler le vrai du faux ou de l'approximatif dans cette autobiographie. Cela vaut aussi pour le principal point épineux du caractère du père de Cthulhu : son racisme. Était-il une position revendiquée par HPL, ou le simple reflet de la mentalité dominante à son époque ? Un peu des deux, selon Ferjault : dans ses lettres, Lovecraft s'avoue raciste, mais il est prêt à reconnaître des aberrations telles que le Ku Klux Klan. Encore une fois, une connaissance intime du personnage pourra confirmer ou infirmer la théorie de l'auteur, même si sur un tel sujet la vérité ne sera jamais véritablement faite : il eût fallu être dans la tête de Lovecraft...
Ouvrage plaisant, d'une lecture aisée, Moi, Lovecraft est aussi un exercice original, hommage ludique à un grand écrivain. Et l'on restera longtemps hanté par les dernières pages, qui nous laissent l'image d'un Lovecraft demeuré lucide malgré le rapide déclin de sa santé.