« Connaissez-vous quelqu'un qui serait devenu moroï [vampire] dans nos parages ?
— Ce Dodu-là, du village d'à côté... Il s'est mis à mourir... Puis il est venu chez sa femme, à la maison. Il renversait tout et grondait : « Donne-moi à manger tout de suite ! » Elle le voyait réellement et lui demandait : « Ben quoi ! tu n'es pas mort, toi ? » Il lui répondait : « Ferme-la ! Je n'ai pas le droit de me nourrir ? » Mais que pensez-vous qu'il voulait manger, celui-là ? Il voulait manger les enfants, sa femme ou quelqu'un d'autre... [Les gens] ont raconté au pope ce qui se passait, ils ont fouillé la tombe de Dodu et l'ont trouvé couché sur le flanc dans le cercueil. Alors ils lui ont mis le feu, là-bas, dans la tombe... Ce sont les vrais méchants qui le deviennent... »
À écouter grand-mère Coca, on dirait bien qu'en matière de vampires roumains Dracula s'est fait voler la vedette par Dodu, et combien d'autres encore... Pourtant, dans les villages isolés d'Olténie, on n'a jamais lu le roman de Bram Stoker. Simplement, depuis des siècles, la mort et ses rites ont envahi le quotidien au point que beaucoup suspectent en toute dépouille humaine un ennemi sanguinaire à l'affût, le moroï, dont le communisme n'a pas eu raison.
Ioanna Andreesco, docteur en anthropologie sociale et historique (EHESS) et notamment coauteur de Mourir à l'ombre des Carpates (Payot, 1986), a endossé le rôle de Sherlock Holmes dans son pays natal après avoir reçu la lettre bizarre d'une fille de pope. Elle a recueilli un grand nombre d'histoires « vraies » pour découvrir comment devenir vampire aujourd'hui et pour reconstituer la mise à mort...du mort-vivant par la communauté villageoise. Croyances légendaires ? Psychose collective ? Faits divers ? C'est à l'exploration d'une bien étrange Europe à deux pas de chez nous que nous sommes conviés de sang-froid...