Chassée, dans un premier temps, de la plupart de ses possessions excentriques, la Confédération Démocrate des Planètes Unies, ayant conclu une alliance pleine et entière avec l’Empire Centrogalactique, est occupée à repousser systématiquement de sa zone d’influence les barbares envahisseurs venus des confins de la galaxie.
Avant la guerre, l’une des planètes à reconquérir se trouvait partagée administrativement entre les alliés d’aujourd’hui. Une résistance à l’occupant s’y fait jour. Aussi un officier des services « spéciaux » se voit-il chargé de prendre contact avec les primitifs, pour saper (de l’intérieur) les forces de résistance ennemies, en attendant l’attaque frontale qui se prépare.
Ainsi avons-nous suivi, récemment, les aventures du colonel Duke, déposé pour le compte de la Terre et des « oiseaux d’Effogus » sur une telle planète, afin d’organiser la résistance à l’impérialisme totalitaire de Gree.
De la même façon, le héros de Pierre Schoendoerffer est parachuté, tout au début de l’ouvrage, pour prendre en main l’organisation armée « terroriste » chez une peuplade peu évoluée techniquement. Fait différent il rencontre là un de ses concitoyens, devenu chef de nation primitive, « roi » des sauvages, qui donne au livre son titre.
Évidemment, dans ce livre, la Confédération se nomme Grande-Bretagne et l’Empire Central, U.S.A. Quant à la planète en question, il s’agit de Bornéo et le conflit est celui de 1939-45. L’étranger, lui, c’est le Japonais. Bon, d’accord, les termes choisis par l’auteur sont ainsi écrits. Mais jamais je n’ai lu une histoire de guerre 39-45 qui ressemble moins à une histoire de guerre 39-45 et plus à un récit SF. D’où cet article, hommage à un grand écrivain français de SF (surtout s’il l’ignore lui-même) Pierre Schoendoerffer (mais l’ignore-t-il ?).
SF en effet le thème, celui de l’homme affronté à un environnement cosmique auquel il cherche à s’intégrer harmonieusement, plutôt qu’à se l’asservir. SF les personnages : cet officier narrateur, d’abord, scientifique de carrière et de formation, devenu militaire d’occasion et toujours soucieux de découvertes (il est botaniste). Ce « roi » ensuite, fou au regard de la société évoluée qu’il a quittée et qui est celle du narrateur, mais aventurier inspiré et guide providentiel dans la tradition van vogtienne (il découvre sa mission au jour le jour) et andersonienne également, par la manière dont il prend le contrôle du peuple « Murut », au moyen de victoires en combats singuliers et d’un génie pénétrant du système féodal. SF enfin la morale de ce livre qui montre la nécessité individuelle de se définir et se réaliser, après que les éthiques, les différents « codes », si commodes à l’ordinaire, ont sombré devant l’incroyable complexité de la réalité.
Un tel cadre, de tels personnages, cette manière de faire tirer la morale de l’histoire par le lecteur lui-même, sont trop fréquents et depuis trop longtemps, depuis 1984 et Le meilleur des mondes jusqu’à À la recherche de la tour noire et Le dieu venu du centaure en passant par L’empire de l’atome, pour qu’on y insiste ici. Beaucoup plus curieuse nous apparaît, à nous autres amateurs de SF, la manière qu’ont de nombreux lecteurs de Schoendoerffer de n’appréhender qu’une partie de cette œuvre.
L’auteur du « prière d’insérer » est le plus proche de la vérité, qui parle de l’auteur comme d’« un écrivain à la veine épique et cosmique », ce qui tendrait à prouver que de ce côté-là, du moins, on savait bien ce dont il s’agissait.
On a dit qu’aucune préoccupation morale n’existait chez Schoendoerffer. Que seul le passionnait le sort du soldat et aucunement l’aspect philosophique ou politique de la guerre. Certes, les héros, ici, agissent, mais leurs actes ont une motivation très claire ne serait-ce que dans le fait d’agir, malgré l’ambiguïté de la réflexion qui précède l’action. Ils décident, donc ils tranchent moralement, en un sens ou l’autre.
Dans le style, aussi, dans la manière de raconter, il faut peut-être avoir lu beaucoup d’auteurs anglo-saxons pour suivre cette méthode d’exposition psychologique par les actes, directement du senti à l’agi, sans se perdre en vaines ratiocinations. Mais, à défaut d’avoir lu Simak ou Bester, on devrait tout de même connaître Steinbeck ou Hemingway !
Le titre ne serait-il pas, d’une certaine manière, un hommage à ce dernier ?
Schoendoerffer nous semble bien appartenir à cette belle race actuelle d’auteurs français qui, profitant des leçons freudiennes et de certains procédés utiles puisés dans le « nouveau roman », ont savoureusement équilibré leur manière, tel Jean Hougron, par exemple, avec une maîtrise anglo-saxonne qui doit beaucoup à un certain réalisme typique (à l’origine) d’outre-Atlantique et marqué lui-même par le style dit « noir » de la grande époque.
Mais peut-être s’avouer cela constitue-t-il, aux yeux de certains, un crime de lèse-littérature française ?
Il nous reste à admirer L’adieu au roi, épopée cosmique, chef-d’œuvre frémissant de vie, marqué au coin d’une incomparable maîtrise narrative et descriptive.
Martial-Pierre COLSON
Première parution : 1/1/1970 dans Fiction 193
Mise en ligne le : 21/3/2020