Chromozone est un virus électronique militaire qui a dévasté le inonde il y a quinze ans. Les hommes se sont depuis repliés en micro-communautés ethnico-politico-fumeuses, au sein de conforteresses inviolables. Mais les grands consortiums comme Karmax refont surface, pour exploiter de nouveaux protocoles de communication phéromoniques.
A l'abri dans leurs laboratoires et leurs citadelles modernes, chercheurs et financiers affirment avoir trouvé le moyen de rendre aux populations désemparées le lustre d'antan.
Et tous de jurer en chœur : Il n'y a plus de place en ce monde pour la bêtise...
Roman noir grinçant, anticipation cannibale, Chromozone assène une vision prophétique et cataclysmique de notre société de Marseille à Ouessant, en passant par Berlin. Le pire n'est pas toujours sûr, mais celui-là paraît probable.
Ce premier roman attendu est suivi de Les Noctivores et de La Cité nymphale.
Critiques
Beaucoup de bruit et de fureur dans Chromozone. Le monde dans quelques années — ou, au mieux, quelques décennies. Le chaos. Les sociétés telles que nous les connaissons (encore un peu...) ont explosé. Le tissu social des zones urbaines s'est entièrement désagrégé, et le monde rural ne vaut pas mieux. Partout, des communautés ethniques, plus ou moins politico-religieuses, fleurissent et, se repliant sur elles-mêmes, font régner « leur » ordre sur un territoire précisément délimité. De l'ancien monde, seules semblent survivre deux éléments : quelques multinationales dont ni les ambitions ni les méthodes n'ont véritablement changé, et, allant dans le même sens, une férocité humaine qui n'a d'égale que la bêtise. Déprimés s'abstenir.
Imaginez l'univers de Inner City (de Jean-Marc Ligny) dans lequel la Slum City (du même) étendrait partout son emprise : la France, l'Europe de demain, dépourvues des caractéristiques actuelles de ses centres-villes et de ses campagnes. Avec une logique terrifiante, Stéphane Beauverger nous peint un monde entièrement livré à la loi des « cités », non telles qu'elles sont en cette fin 2005, dans toute leur complexité, mais telles que certains veulent qu'elles soient ou veulent les donner à voir (telles que présentées depuis des années, avec une complaisance voyeuriste et un abject sensationnalisme mercantile que l'on ne dénoncera jamais assez, par les médias). Guérilla urbaine permanente et comportements tribaux. Barbarie ? Décadence ? Peu importe : la civilisation s'est effondrée, c'est tout ce qui compte. Le chromozone, un virus informatique détruisant tous les supports électroniques, a renvoyé l'humanité à l'âge de pierre... ou presque. Le pire étant, bien entendu, que ce monde-là est affreusement crédible, si ce n'est probable (caractéristique commune à toutes les dystopies réussies).
Le côté le plus « sympa » de cette vision cataclysmique, sur le plan sociologique et ethnique, est l'inversion des rôles jusque-là affectés à chaque « communauté » : les privilégiés d'hier, plus dépendants des technologies de l'information et de la communication, ont subi le choc du virus de plein fouet. Et les groupes « issus de l'immigration » tiennent le haut du pavé...
À travers le destin de différents personnages (Ogre, serial killer plus ou moins justicier ; Khaleel, « antenne » qui sur sa peau capte les phéromones qui saturent l'environnement et transportent les messages codés des différentes factions ; Teitomo, terroriste reconverti en flic ; Justine, beauté fatale mariée à un génie et empêtrée dans les manigances des multinationales ; Gemini, livré sur une île bretonne à la sauvagerie des « Keltiks » et de leur chef, le Tore, son frère), Chromozone vomit sur le lecteur, jusqu'à lui transmettre sa nausée, toute l'horreur du monde à venir.
Après une sortie originale en poche (chez Les Escogriffes, 2003), cette belle réédition en grand format (après la fabuleuse Horde du contrevent, jusqu'où ira La Volte ?) rend justice au travail d'illustration de Corinne Billon, en tête de chaque chapitre (et aussi en éliminant la plupart des coquilles), mais de manière plus générale à ce livre atypique dans la production francophone, que ce soit par la forme, dense et foisonnante à souhait, que par le fond, d'un pessimisme à faire pâlir les plus sombres d'entre nous. Qui dit pire ? La suite, peut-être : car Chromozone n'est que le premier volume d'une trilogie (voir la critique du second tome, Les Noctivores, ci-après, en attendant le troisième volet, fin 2006...).
« Il n'y a plus de place en ce monde pour la bêtise » : ce leitmotiv du roman, on aimerait tellement y croire...
Au début du XXIe siècle, l'informatique de toute la planète a été balayée par Chromozone — un virus militaire extrêmement puissant. Après ce cataclysme, les hommes se sont regroupés en micro-communautés ethniques, parfois ethnico-religieuses, souvent politico-douteuses (chez Beauverger, le fascisme est de toutes les couleurs et de toutes les races). Dans ce monde ultra communautaire, fait de blocs quasi imperméables évoquant une Terre divisée en losanges de dessiccation, coexistent (le plus souvent sans jamais se rencontrer) des riches et des pauvres, des puissants au bord du gouffre et d'autres sur le point de devenir plus puissants encore. Les inégalités sont très marquées et la classe moyenne semble avoir presque totalement disparu. Ce paysage européen, gris, fortifié, oppressant, est en quelque sorte « filtré » par un survivant de l'ancien monde, Khaleel, un ancien flic capable de traduire le flot de phéromones qui fait désormais office de réseau informatique. Quand le roman commence, ce « filtre » est sur le point de mesurer toute l'étendue de son pouvoir.
1/ Le style oscille énormément, passant d'une écriture « très mode » assez maîtrisée (on pense alors à Féerie de Paul J. McAuley), à une narration percluse d'adjectifs, d'adverbes et d'effets de style bancals — prétentieuse, pour faire court.
2/ Les implications factuelles que Beauverger tire de son hypothèse de départ (un virus informatique provoquant un cataclysme mondial) sont pour le moins peu crédibles, d'autant plus qu'il ne donne pas de réponses satisfaisantes aux questions du style « mais qu'a fait l'armée après l'attaque de Chromozone ? » et « que sont devenus les ordinateurs qui n'étaient pas connectés au réseau ? ». Pour ce qui est des forces de l'ordre, l'auteur s'en tire par une pirouette du genre « ils n'avaient pas d'ordres alors ils n'ont pas bougé ». Un peu léger. Quant au reste de l'humanité, les Chinois, les Américains, les Indiens... ils sont franchement trop absents du tableau.
Les cinéphiles le savent : dans une hypothèse apocalyptique du genre « virus renvoyant l'humanité à l'âge du pistolet automatique », le moindre sous-officier qui a dix hommes armés sous ses ordres n'a plus qu'une idée en tête : s'emparer d'un château (ou bunker) afin de s'y accoupler avec les plus belles reproductrices — évidemment kidnappées dans ce seul but. Cas de figure mis en scène dans l'excellent 28 jours plus tard de Danny Boyle. Dans le monde de Beauverger, ce sont les chefs de communautés qui jouent ce rôle de leader — on n'y croit goutte.
Handicapé par sa partie spéculative défaillante, Chromozone n'est donc pas à considérer comme le Tous à Zanzibar de la décennie en cours (ce serait plutôt le Ravage des années 2000-2005), néanmoins, ce livre réserve de belles surprises, des idées passionnantes ; on y côtoie des personnages intéressants (Teitomo, Khaleel, Gemini, Justine Lerner) et on y flingue à tout va le politiquement correct (une attitude à la mode, il n'y a qu'à lire Forteresse de Georges Panchard, critiqué dans le Bifrost n°38). Au final, Chromozone n'est pas le livre francophone de l'année, ce qui ne l'empêche pas de revendiquer sa place d'« incontournable » pour quiconque s'intéresse un tant soit peu à la S-F d'expression française.
Dans un futur proche, le virus Chromozone a rendu inutilisable tous les supports électroniques, de façon durable voire définitive...
Le monde a sombré dans le chaos. Les pays les plus développés, donc les plus dépendants de l'informatique et de la communication, ont naturellement été les plus affectés. En France, certaines communautés plus solidaires se sont organisées sur des bases ethniques ou religieuses, faisant régner leurs propres lois : islamistes dans le sud, rastas en Bretagne, etc. Probablement victimes de leur individualisme, nombre de blancs — de « blancars » — ont moins de chance et errent en marge des « conforteresses » défendues par des milices privées : « Il y en avait des centaines, de ces immenses navires résidentiels échoués à travers la ville, hissant haut les couleurs de leur communauté, proposant un toit et un peu d'espoir, en échange d'un esprit de caste. Ici, c'était les AROF, les Auxiliaires Résolus d'Ogou Feray. Amour des pauvres et aide aux plus démunis. Des gens serviables et volontaires, déterminés à procurer du mieux-être aux soeurs et aux frères prêts à embrasser leur foi. A condition que le taux convenable de mélanine soit au rendez-vous. C'est de bonne guerre, admit Ogre en progressant lentement. Les blancs leur avaient-ils été d'un quelconque secours, au cours des siècles passés ? Pour mémoire, tracez un repère orthonormé, d'abscisse chronologique et d'ordonnée colonisatrice. Constatez les pics de douleur et les maigres plaines de compassion. Sauvegardez le motif, déclinez sa couleur, insufflez-lui la vie et lâchez-le dans le monde. Vous obtenez les Auxiliaires Résolus d'Ogou Feray et leurs clones communautaires. En clair : dans le coin, sale temps pour les blancars ! » (p.13-14)
Les compagnies commerciales ne sont pas mortes pour autant. La société Karmax a développé un système de communication non électronique mais très performant : la « phérommunication », qui utilise efficacement le langage des phéromones. Une méthode de communication, mais aussi, bien sûr, de manipulation...
Teitomo est un flic de ces nouveaux temps. Ou plutôt un ancien terroriste qui profite de l'occasion pour se racheter et tenter de reconstruire un monde plus juste à ses yeux.
Son ami Khaleel, un vrai flic de l'ancien temps, lui, est devenu un étrange phénomène, capable de capter les messages phéromonaux émanant des autres communautés et de les retranscrire de manière analysable dans la sueur de ses jambes, comme une sorte de super décodeur-espion vivant. Un don suffisamment exceptionnel pour s'imaginer prophète.
Ogre est un tueur, mi-justicier mi-monstre, capable de s'introduire au sein des conforteresses les mieux protégées grâce à une arme étonnante : son « corbeau ».
Gemini fait partie de ces bretons que les rastas ont déportés en masse sur une île rebaptisée Enez Eussa. Il tente de survivre sous la loi du Tore qui rêve d'un renouveau celte et impose sa dictature au peuple des « Keltiks ».
Justine est la femme forte en gueule du génie Peter Lerner, à la tête de Karmax. Elle est la cible de manoeuvres visant à l'écarter, notamment de la part d'une société vassale, la Zentech, qui semble vouloir effacer certaines informations.
Tous ces personnages vont découvrir que, en raison de l'éternelle folie des hommes, Chromozone n'a pas dit son dernier mot...
Après la soufflante Horde du contrevent d'Alain Damasio, La Volte publie un deuxième roman également remarquable. Il ne s'agit pas vraiment d'un inédit, puisque Chromozone a déjà fait l'objet d'une micro-édition, mais cette réédition à plus large échelle s'imposait, afin de toucher un plus large public. Un objectif en effet amplement mérité pour cette oeuvre puissante, originale, à l'univers particulièrement riche et aux personnages singuliers, dont l'écriture dense — souvent traversée de formules insolites comme en témoigne l'extrait sus-cité — rend la lecture passionnante de la première à la dernière ligne. Grâce au ton incisif de l'auteur et à une intrigue tendue, cette brillante anticipation socio-politique axée sur le repli ethnique s'avère effroyablement crédible, de même que cette bien étrange « phérommunication ».
Voilà encore un roman de science-fiction francophone ambitieux et de tout premier plan, agréablement rythmé par les photomontages de Corinne Billon qui illustrent chaque phrase reprise en tête de chapitre. Tout comme La Horde du contrevent, Chromozone surprend et tranche nettement avec la production habituelle. A lire absolument.