Les voiliers dont il est question dans le titre sont des vaisseaux cosmiques propulsés au moyen de la pression exercée par les photons qu'émet le Soleil. Ils ne jouent d'ailleurs qu'un rôle tout à fait passager dans ce roman, dont ils introduisent simplement la scène initiale. En fait, nous sommes en présence de la suite à « Chirurgiens d'une planète », du même auteur, dont il fut récemment question dans ces colonnes.
Comme dans son livre précédent, Gilles d'Argyre montre ici que ses préoccupations sont d'un niveau nettement différent de celui auquel s'arrêtent les principaux écrivains de cette collection – et, une fois encore, il a manifestement fait un effort pour offrir quand même aux lecteurs du Fleuve Noir ce qu'ils attendent. D'où, pour ces « Voiliers du Soleil », un certain nombre de défauts et de qualités. Il convient de dire quelques mots de l'intrigue avant d'évaluer les uns et les autres.
L'action des « Voiliers du Soleil » se déroule sur trois plans distincts : la recherche d'un être mystérieux, Jor Arlan, qui s'est établi sur Ganymède, alors que l'astre n'est pas colonisé par les humains ; la création d'une planète nouvelle, entre Mars et Jupiter, par le rassemblement des astéroïdes ; la lutte contre un autre être mystérieux, Foran, dont les efforts s'opposent à ceux de l'Administration (cette dernière, bienfaisante toujours et de plus en plus puissante, était déjà apparue dans « Chirurgiens d'une planète » : elle était l'organisme chargé de rendre l'atmosphère de Mars respirable pour des poumons humains). Ces trois actions sont unies par le personnage de l'héroïne, Ina d'Argyre, fille de deux des protagonistes des « Chirurgiens ».
Ina d'Argyre possède une personnalité incontestable, bien qu'assez conventionnelle (amoureuse d'un homme dont elle ne connaît que le nom, elle est aussi intelligente et pleine de volonté) ; mais ses compagnons de roman sont relativement ternes. Cette faiblesse n'est apparente qu'en regard des qualités de l'ouvrage, car les protagonistes du roman de Gilles d'Argyre (Ivan von Beauchamp, chevalier servant amoureux et dévoué, Wolfgang Argyropoulos, organisateur lucide et méthodique, ou l'étrange Jenny) feraient éclater un livre moyen du Fleuve Noir. Dans le cadre que leur façonne Gilles d'Argyre, ils font cependant figure d'entités correctement agencées, mais sans relief véritable. Néanmoins, les autres caractères du roman sont fort bien conçus, et témoignent d'un solide métier.
Les détails scientifiques sont autre chose qu'un jargon à mi-chemin de l'hermétique et du conventionnel, et jouent leur rôle dans le développement de l'intrigue ; par exemple, la façon dont Ina d'Argyre s'efforce de combattre la disparition prochaine de sa mémoire, est une trouvaille bien venue. La description d'Uraniborg, la ville de l'espace, ne manque pas d'allure, et la création de la Cinquième planète est évoquée avec assurance. Visiblement, Gilles d'Argyre s'intéresse aux spéculations scientifiques et, une nouvelle fois, il y convie les lecteurs du Fleuve Noir. Il les appâte par une action menée avec vigueur, dans laquelle il a ménagé plusieurs coups de théâtre, et qui demeure somme toute assez simple pour ne pas les effaroucher. Tout cela constitue une réussite certaine, plus complète que dans le cas des « Chirurgiens ». Cependant, il faut également noter que, si la fin du roman amène une conclusion logique, celle-ci n'en demeure pas moins inutilement saccadée et exagérément abrupte : elle n'est pas tout à fait digne du reste du livre.
Pour juger équitablement ce dernier, il faut tenir compte du fait que l'auteur l'a écrit à l'intention d'un public auquel il n'a manifestement guère l'habitude de s'adresser : les « Chirurgiens » constituaient une première tentative, que les « Voiliers » continuent. Il faut reconnaître que Gilles d'Argyre s'est efforcé d'élever quelque peu ses lecteurs, plutôt que de s'abaisser lui-même. Le style demeure simple et vivant, sans sombrer dans la vulgarité, et ce roman mérite véritablement l'étiquette d'Anticipation que porte la série dans laquelle il est publié. Souhaitons que cette dernière nous donne plus fréquemment des romans de Kurt Steiner, Stefan Wul et Gilles d'Argyre, ses trois meilleures recrues à ce jour.