30 octobre 1938. Le jeune prodige Orson Welles adapte à la radio La Guerre des mondes, le chef-d'œuvre du romancier anglais H. G. Wells. Transposée sous forme de bulletins d'informations (« Les Martiens attaquent ! »), l'histoire est prise au premier degré par les auditeurs et provoque la panique : embouteillages, pillages, accidents, fausses couches, crises cardiaques, suicides... L'Amérique, à en croire les commentaires, est saisie de terreur, incapable de distinguer une pièce radiophonique de la réalité. Depuis 1938, cet événement constitue une référence pour tous ceux qui s'interrogent sur les comportements irrationnels du public.

     Pourtant la rumeur créée par la pièce d'Orson Welles en cache une autre : la rumeur selon laquelle il y aurait eu une panique ce soir-là. Impossible, en effet, de trouver la moindre trace concrète de cette fameuse vague d'hystérie. Il ne s'agit pas, pour Pierre Lagrange, de prétendre que rien n'a eu lieu, mais de montrer que l'image, véhiculée à foison, du public naïf, crédule, apeuré est fausse. Pourquoi les commentateurs ont-ils glosé des décennies durant sur un événement inexistant ? L'émission d'Orson Welles (intégralement reproduite à la fin de ce livre) n'est ni le premier, ni le seul exemple de ce genre de phénomène. D'autres histoires comparables, aussi méconnues qu'étonnantes, seront autant d'occasions de renouveler la réflexion sur les peurs collectives.

 

     Sociologue des sciences, spécialiste de l'étude des controverses sur les « parasciences », Pierre Lagrange est chercheur associé au Laboratoire d'anthropologie et d'histoire de l'institution de la culture (LAHIC) du CNRS. Il est également consultant auprès du Centre national d'études spatiales et participe à la création d'un Centre sur l'imaginaire scientifique et technique.

     En 1938, Orson Welles et la troupe du Mercury Theatre adaptent des pièces radiophoniques pour une radio du réseau CBS. Le 30 octobre, la veille d'Halloween, c'est le célèbre roman d'H.G. Wells, La guerre des mondes, qui est au programme. Afin de moderniser le texte, l'action est transportée sur le sol américain, dans le New Jersey, aux portes de New York, et rapportée sous forme de bulletins d'information entrecoupant un programme musical. La suite, on la connaît... ou du moins on croit la connaître. Depuis près de soixante-dix ans, l'événement est continuellement rappelé pour évoquer la panique que déclencha l'émission de radio, les réactions irrationnelles des foules terrorisées par ce qu'elles croyaient pour de bon être la fin du monde...

     Pour le sociologue Pierre Lagrange, spécialiste des « parasciences », qui s'est déjà intéressé, dans de précédents ouvrages, à Mars et à l'ufologie, cette version des faits est un mythe. Il mène d'abord une enquête de type journalistique afin de reconstituer les faits historiques et leurs prolongements. Ce que personne n'avait fait avant lui ? Si mais ceux, rarissimes, qui l'ont précédé dans cette voie, n'ont pas été entendus. C'est le cas, par exemple, de Richard O'Donnell, chargé de faire un papier en 1968, qui récolte les témoignages édifiants de Bostoniens avant de découvrir, après vérification, que l'émission n'a pas été diffusée à Boston.

     Lagrange poursuit son travail d'enquête et traque la naissance du mythe dans la presse. Puis, après avoir resitué les faits dans un contexte culturel, médiatique et scientifique, c'est le sociologue qui tente d'éclairer l'événement et ses significations. L'image de la panique engendrée par l'émission d'Orson Welles est liée à une conception de la culture populaire et de l'opinion. Conception élitiste s'il en est ! Pour le sociologue Lagrange, la véritable panique a eu le lieu le 31 octobre 1938, dans les journaux et dans l'esprit des rationalistes autoproclamés. Les plus irrationnels ne sont pas les rares personnes qui ont cru à l'invasion martienne (il y en eut tout de même mais la plupart prirent la peine de téléphoner aux radios ou à la police pour s'informer) mais ceux qui avalèrent cette fable journalistique de la panique et contribuèrent à la transmettre, nourrissant le mythe, sans jamais vérifier la réalité du phénomène allégué.

     Au final, pour l'auteur de cet ouvrage, l'émission d'Orson Welles illustre davantage le fait que nous vivons dans un monde scientifique et que nous en avons pleinement conscience. Dans le monde de 1938, l'invasion martienne n'est pas définitivement incohérente. Le fait que des élites voient dans la science un moyen de faire reculer l'incertitude ne relève pas de la rationalité affichée. La science crée de l'incertitude et ouvre sans cesse au monde à de nouvelles représentations dévoilant de nouveaux risques.

     Une lecture passionnante, sérieusement documentée et agrémentée d'une iconographie plaisante et utile. En annexes, le scénario complet de la pièce radiophonique et un « moon hoax » daté de 1835, publié dans le NewYork Sun.