Orientales, toutes les créatures de Marguerite Yourcenar le sont à leur manière, subtilement. L'Hadrien des Mémoires se veut le plus grec des empereurs, comme Zénon, dans la quête de son Œuvre au Noir, paraît souvent instruit d'autres sagesses que celles de l'Occident. L'auteur elle-même, cheminant à travers LeLabyrinthe du Monde, poursuit une grande méditation sur le devenir des hommes qui rejoint la pensée bouddhiste. Avec ces Nouvelles, écrites au cours des dix années qui ont précédé la guerre, la tentation de l'Orient est clairement avouée dans le décor, dans le style, dans l'esprit des textes. De la Chine à la Grèce, des Balkans au Japon, ces contes accompagnent le voyageur comme autant de clés pour une seule musique, venue d'ailleurs. Les surprenants sortilèges du peintre Wang-Fô, « qui aimait l'image des choses et non les choses elles-mêmes », font écho à l'amertume du vieux Cornélius Berg, « touchant les objets qu'il ne peignait plus ». Marko Kralievitch, le Serbe sans peur qui sait tromper les Turcs et la mort aussi bien que les femmes, est frère du prince Genghi, sorti d'un roman japonais du xie siècle, par l'égoïsme du séducteur aveugle à la passion vraie, comme l'amour sublime de Vania l'Albanaise ou le deuil sacrilège de la veuve Aphrodissia répondent au sacrifice de la déesse Kâli, « nénuphar de la perfection », à qui ses malheurs apprendront enfin « l'inanité du désir... »
Légendes saisies en vol, fables ou apologues, ces Nouvelles Orientales forment un édifice à part dans l'œuvre de Marguerite Yourcenar, précieux comme une chapelle dans un vaste palais. Le réel s'y fait changeant, le rêve et le mythe y parlent un langage à chaque fois nouveau, et si le désir, la passion y brûlent souvent d'une ardeur brutale, presque inattendue, c'est peut-être qu'ils trouvent dans l'admirable économie de ces brefs récits le contraste idéal et nécessaire à leur soudain flamboiement.
1 - Comment Wang-Fô fut sauvé, pages 9 à 27, nouvelle 2 - Le Sourire de Marko, pages 29 à 42, nouvelle 3 - Le Lait de la mort, pages 43 à 58, nouvelle 4 - Le Dernier amour du prince Genghi, pages 59 à 75, nouvelle 5 - L'Homme qui a aimé les Néréides, pages 77 à 88, nouvelle 6 - Notre-Dame-des-Hirondelles, pages 89 à 102, nouvelle 7 - La Veuve Aphrodissia, pages 103 à 117, nouvelle 8 - Kâli décapitée, pages 119 à 127, nouvelle 9 - La Fin de Marko Kraliévitch, pages 129 à 136, nouvelle 10 - La Tristesse de Cornélius Berg, pages 137 à 143, nouvelle 11 - Post-scrpitum, pages 145 à 149, postface