Le PRÉ AUX CLERCS
(Paris, France), coll. Fantasy n° (15) Dépôt légal : mars 2006, Achevé d'imprimer : février 2006 Première édition Roman, 312 pages, catégorie / prix : 21 € ISBN : 2-84228-222-1 Format : 15,3 x 24,0 cm Genre : Fantasy
L'histoire commence en 3200 avant Jésus-Christ à Sumer, à l'époque de l'invention de l'écriture.
Deux frères — les mages Alad et Eneresh — reçoivent des dieux le don de l'immortalité. Croyant avoir éliminé Alad, Eneresh gravit les échelons du pouvoir jusqu'à devenir le personnage le plus puissant de Sumer, après le roi.
Alors que les Sumériens sont attaquée par les armées de Sargon, Eneresh fomente un coup d'Etat avec l'aide de la propre fille du roi, devenue sa maîtresse. Mais en dépit de pouvoirs effrayants, le mage va devoir faire face à un adversaire inattendu : son frère Alad. Ce dernier a été secouru par les seuls êtres qui échappent au contrôle des dieux : les esprits féeriques des pierres, de l'air ou de l'eau, qui lui ont enseigné une autre voie, une autre magie, et ont fait de lui leur champion pour la lutte dantesque qui s'engage...
À travers les siècles et les civilisations, les deux frères s'affronteront sous des identités différentes, influençant par leur victoire ou leur défaite le devenir de l'Humanité tout entière.
Une fresque fabuleuse, érudite, haletante, à découvrir absolument.
Critiques
Michel Pagel était déjà l'auteur — entre autres — d'un excellent roman historique, Le Roi d'Août, dont le protagoniste était Philippe Auguste. Il revient à présent avec Les Mages de Sumer, dont l'action se passe dans l'Antiquité du Pays des Deux Fleuves. Cependant, même s'il y a beaucoup de points communs entre Le Roi d'Août et Les Mages de Sumer, en particulier l'importance du « Peuple » non-humain lié aux éléments ou aux arbres, les deux livres sont écrits dans des optiques complètement différentes. Le premier était un roman qui collait au plus près du vécu de Philippe Auguste tel que les historiens le connaissent, tel que nous le décrivent les documents datant du Moyen-Âge. Le second concerne une époque sur laquelle on sait très peu de choses, et s'il est tout à fait documenté en ce qui concerne le quotidien des Assyriens, Michel Pagel s'est senti libre de s'affranchir de faits historiques. Il a donc plongé dans une fantasy débridée, qui rappelle son cycle fantastique La Comédie Inhumaine par son aspect volontairement outrancier ainsi que par la lutte qui s'engage entre deux pôles, deux divinités.
Deux frères, Alad et Eneresh, reçoivent le don d'immortalité de la part des dieux, dont le but est de se servir d'eux comme champions dans la guerre qui les oppose. Quoique s'aimant tendrement, ils deviendront ennemis... j'allais écrire « mortels » ! De péripéties en révoltes de palais, usant de magies étrangères l'une à l'autre, poursuivant des buts opposés, Alad et Eneresh se combattront.
Si l'histoire tient en haleine, Les Mages de Sumer n'est un pas un grand Pagel. Il n'a pas la profondeur du Roi d'Août, ne délire pas comme Les Flammes de la nuit, n'effraye pas comme L'Ogresse, n'émeut pas comme L'Esprit du vin. Et surtout, il lui manque l'humour qui est la signature de l'auteur dans la majeure partie de son œuvre. Néanmoins, il me faut bien reconnaître que je n'aurais pas été si sévère si le livre avait été signé d'un autre nom. J'aurais dégusté le plaisir de la lecture sans attendre ce petit quelque chose de plus dont Michel Pagel nous a donné l'habitude. En fait, Les Mages de Sumer souffre d'un double handicap. Tout d'abord, on est particulièrement exigeant avec les auteurs que l'on admire. Ensuite, c'est le premier volume d'une série qui verra Alad et Eneresh s'affronter à travers les siècles, sous différentes identités. Et là, connaissant le talent de Pagel pour lier ses romans en cycle, on se prend à saliver, car, d'une part, dans Les Mages de Sumer se trouve, très présent, le Peuple qu'on a déjà rencontré dans Le Roi d'Août, d'autre part, l'affrontement entre Alad et Eneresh n'est pas sans rappeler la lutte éternelle entre Dieu et Lucifer, telle que racontée avec brio dans La Comédie Inhumaine. Alors Les Mages de Sumer pourrait bien n'être que le début d'une saga pleine de surprises. Une chose est sûre, même si ça n'est pas mon Pagel préféré, je me précipiterai sur sa suite.
Lucie CHENU Première parution : 1/7/2006 dans Faeries 22 Mise en ligne le : 4/2/2008
Dans le roman de Pagel comme dans les essais de Samuel Noah Kramer, l'histoire commence donc à Sumer, en 3200 avant Christ, lors de l'apparition de l'écriture.
Le pays entre les deux fleuves est une contrée paisible jusqu'au jour où deux mages, natifs de la ville d'Uruk, reçoivent d'une sorte de Noé mésopotamien le don de l'immortalité...
Avec, par ordre d'apparition : le bon mage Alad, dont la gentillesse est « la plus grande qualité et le plus gros défaut » ; le truand Eneresh, son frère aîné, à l'ambition féroce ; et la brute Gurunkash (ça rime avec hache), âme damnée du précédent. Soit. Eneresh veut dominer le monde, pour cela il est prêt à trahir et sacrifier les siens ; Alad, bien sûr, ne l'entend pas de cette oreille, trop couard peut-être pour revendiquer sa part d'un destin glorieux. Fuyant la voracité de son aîné, Alad disparaît soudain, avalé par la terre ; Eneresh, lui, se laisse avaler par les siècles. Pendant six cents ans, il peaufine ses talents, oublié des hommes mais non de sa chère déesse Innana ; revenu à Uruk, il se dépense en complots et exactions divers, gravissant les échelons du pouvoir jusqu'à devenir le personnage le plus influent de la Mésopotamie, après le roi. Quand Sargon l'Akkadien apparaît au tournant de l'Histoire, il y voit l'occasion de mettre la dernière main à son plan de conquête. Mais là : patatras. Alad réapparaît aussi soudainement qu'il a disparu, investi lui aussi, par le Peuple des esprits féeriques, de talents surnaturels — et accessoirement d'une mission : retarder (pour leur bien) l'hégémonie des hommes sur le monde. C'est à ce point qu'entrent en scène les seconds rôles : un couple de femmes fatales inféodées aux deux frères (une dryade pour Alad, une intrigante pour Eneresh), un jeune premier un peu benêt, une maîtresse de club sado-maso, et un nécromancien amateur de chair fraîche.
Entre Tigre et Euphrate, tout ce beau monde va s'agiter, assassiner à qui mieux mieux, invoquer des démons, copuler jusqu'à épuisement, dans le but (fumeux) de dominer/sauver l'ensemble du monde connu. La B.O. semble tirée d'un album de Bal Sagoth ; le décor, d'un film avec Brad Pitt ou Christophe Lambert, rehaussé par les notes éclairées de Jean Bottéro.
Avis cependant aux amateurs de péplums à rebondissements : sous des aspects musclés, voire sanglants, le scénario fait la part belle aux ressorts de l'intellect et aux intrigues de couloir. Le duel des mages, quant à lui, est une resucée de Magic : the gathering. Eneresh joue un jeu noir pur contrôle, Alad un tricolore vert/blanc/bleu (perso, j'ai une nette préférence pour le noir pur). L'interaction entre les différents protagonistes se révèle plus subtile qu'il n'y paraît ; d'où il ressort que condition humaine et condition divine se rejoignent sur bien des points (les passions, notamment ; mais on le savait depuis les anciens Grecs). Une immense métaphore en outre traverse le roman : la certitude que tout est lié, divinité, humanité, religion, écriture ; tout est lié par le fil de la fiction. Le mythe rejoint l'Histoire. Subtile évocation, certes, mais laissant un goût d'inachevé, la faute à une fin trop abrupte. En effet, là où on s'attend à un méga règlement de comptes avec effets spéciaux, on n'aura qu'un pétard mouillé. Soyons lucides, ce parti pris scénaristique relève de la stratégie commerciale : comme le concept d'immortels se déglinguant à travers les siècles a toujours eu du succès, autant le décliner en plusieurs épisodes. C'est vrai, quoi. Au diable l'avarice.
Après Le Roi d'août, ce nouvel ouvrage de fantasy historique de Michel Pagel est une franche réussite. Fluide, imaginatif, bien rythmé et bien écrit, orné parfois de superbes envolées ironiques conjuguées au subjonctif imparfait, il se lit d'une traite, fera prendre son pied au lecteur et languir après la suite (qu'on espère rapide).
Sam LERMITE Première parution : 1/7/2006 dans Bifrost 43 Mise en ligne le : 19/5/2008
Michel Pagel a acquis une renommée certaine avec son cycle de La Comédie Inhumaine, où il mêle, dans une fresque grandiose, SF et Fantastique avec une vision assez personnelle de la démonologie. Cependant, il avait déjà abordé la fantasy avec Les Flammes de la nuit, paru en quatre tomes dans la collection Anticipation, entre 1986 et 1987. Ce roman a, d'ailleurs, fait l'objet d'une réécriture en 2000, pour la collection Lunes d'Encre chez Denoël.
Avec Les Mages de Sumer, il revient à ce genre littéraire et développe le parcours de deux frères, parcours qui commence en 3200 avant Jésus Christ quand ils accèdent à l'immortalité. Eneresh, l'aîné, et Alad sont des mages servant la déesse Inanna. Eneresh et Inanna veulent le pouvoir. Ils règneraient, elle sur les dieux et le monde d'en haut, lui sur celui du milieu. Cependant, il ne réussit pas à convaincre son frère que la mission, confiée par la déesse, justifie de trahir son roi et sacrifier à la colère de ce dernier toute sa famille. (Bien que les enfants ne soient que des filles !)
Eneresh demande à Gurunkash, son âme damnée, de tuer Alad. Mais, alors que le coup fatal va être donné, celui-ci disparaît dans le sol, avalé par la roche.
On retrouve Eneresh, quelque six cents ans plus tard. Il est revenu à Uruk, sa trahison oubliée et toujours avide du pouvoir, fomente un coup d'état avec l'aide de la fille du roi en place, une ambitieuse dont il a fait sa maîtresse. Mais le Peuple des éléments mène une lutte contre les hommes pour tenter de retarder leur hégémonie. Alad, qui a été sauvé d'une mort certaine par les enfants des roches, est envoyé à Uruk avec la fille des forêts. C'est la magie des hommes contre la magie de la nature... mais avec l'avènement d'Eneresh roi du monde, ce n'est pas que l'avenir du Peuple qui est en péril, c'est aussi celui de l'humanité.
Michel Pagel plonge son intrigue au cœur de l'Antiquité, dans les royaumes entre Tigre et Euphrate, lorsque les sociétés humaines commençaient à se structurer et que les appétits de puissance devenaient de plus en plus féroces. Appuyant son récit sur les civilisations avancées socialement et techniquement, il oppose la conception de deux univers, la vision de deux mondes aux intérêts bien divergents. Cette lutte dichotomique est intéressante car elle passe essentiellement par des personnages aux réactions bien humaines, même s'ils n'en ont pas le statut. Certes, ils sont immortels mais pas invulnérables. L'auteur « s'amuse », d'ailleurs, avec ces concepts, les analyse, les compare. Il en ressort que ni l'un ni l'autre n'est un état idéal.
Michel Pagel se régale avec l'univers religieux qu'il anime, nous montrant les principes et le fonctionnement fallacieux, les motivations des prêtres, celles des dieux, qui ne sont qu'inventions des hommes pour leurs besoins de sécurité ou de puissance, revenant sur l'hypocrisie qui préside à tous leurs actes. Par contre, il revient sur l'expansion de la race humaine et sur l'inéluctable mise en péril des bienfaits de la Terre.
Les Mages de Sumer est un livre passionnant, l'auteur ayant, avec tout le sérieux qui caractérise les humoristes (et c'en est un de premier ordre) étudié les civilisations qu'il prend comme cadre d'une histoire pleine d'action et de rebondissements. Il propose une théorie de personnages intéressante avec une large gamme de caractères et de profils, permettant ainsi une richesse de l'intrigue et des péripéties.
L'humour, bien sûr, est très présent, un humour au second degré provenant du décalage entre paroles et actes, entre annotations et remarques. Ainsi, Eneresh est sceptique sur l'avenir de l'écriture naissante, sur son utilité. Puis, comprenant qu'il avait tort, il fulmine contre son utilisation avec la description d'une armée de scribes, d'une véritable administration tatillonne et chicanière, déjà à l'image de celle que l'on connaît : « le moindre geste nécessitait un travail d'écriture ».
Les Mages de Sumer est une réussite de plus à mettre à l'actif de Michel Pagel.