Désormais marié à la redoutable Cawti, le baronnet Vlad Taltos pourrait se contenter de faire fructifier ses affaires plus ou moins honnêtes. Cependant, le meurtre d'un humain appelé Franz lui fait découvrir que Cawti s'est acoquinée à un groupe révolutionnaire composé d'orientaux et de tecklas bien déterminés à renverser l'Empire. Vlad décide alors de mener l'enquête pour savoir quels dangers court son épouse et comment les lui éviter...
Dénuée de véritable énigme policière, l'intrigue de ce troisième tome s'avère plus simple et moins colorée que celles des deux précédents volumes. En particulier, l'excentricité des coutumes dragareanes, la magie et les créatures fantastiques y occupent moins de place — même si Loiosh, le jhereg familier de Vlad, constitue toujours une source de réparties ironiques souvent savoureuses.
Cette fois, l'intérêt se situe donc ailleurs — preuve que l'auteur parvient à se renouveler et à donner à chaque roman de ce cycle une thématique et un rythme propres. Il s'agit ici de la montée d'une révolution, abordée de manière originale, dans la dialectique comme dans le déroulement du récit et dans sa conclusion...
En effet, l'auteur confronte la morale cynique et froidement individualiste de Vlad Taltos aux idéaux d'un groupe. Pour Vlad, devenir un révolutionnaire nécessite de « vénérer des idées au point de devenir totalement impitoyable envers les individus » (p.247) et Kelly, le meneur des révolutionnaires, ne parvient pas à le convaincre que les idées ne sont pas seulement des abstractions et qu'elles « expriment toujours quelque chose de réel, même quand elles sont fausses » (p.248). Cette aventure sera l'occasion de mettre Vlad face à ses contradictions : l'assassinat peut-il se justifier moralement ? Est-ce différent de tuer pour de l'argent ou pour des idées ? Sur quoi peut se fonder une éthique si seul compte l'individu ?
En évitant ainsi de se positionner et d'agir en fonction de quelconques convictions, Vlad permet au récit de suivre un cours assez lâche où il envisage tout à tour de supprimer l'Empire, d'abattre les révolutionnaires, d'anéantir tout le monde en bloc ou même de se tuer lui-même, sans aucune cohérence mais avec pourtant exactement la même énergie. Pas une seconde, il n'envisage de ne pas y mettre son grain de sel. Pas une seconde, il ne tient compte de l'avis de sa compagne Cawti, qui s'est pourtant, elle, engagée dans cette affaire par conviction idéologique.
En conséquence, les actions impétueuses de Vlad perturbent considérablement le déroulement de ce qui aurait pu aboutir à un coup d'état tout à fait classique, jusqu'à un dénouement inattendu qui résout tous les problèmes d'une manière qui manque certes de panache mais qui se montre tout à fait dans la logique maligne d'un Jhereg.
On ne peut pas dire que Vlad Taltos apparaisse sous son meilleur jour dans ce troisième tome. On le connaissait déjà fourbe et assassin, mais on pouvait le croire attaché à certains principes, alors qu'il se révèle encore un peu plus amoral, sans aucune conscience politique, et au contraire totalement contradictoire en fonction du contexte : bref, un individu peu fiable et peu recommandable, qui demeure malgré tout considérablement attachant, ce qui est le propre de tout anti-héros réussi.
Autour de ce personnage sympathique et de cette intrigue non conventionnelle, l'ironie et dynamisme sont toujours au rendez-vous et le plaisir de lecture évidemment intact.
Pascal PATOZ (lui écrire)
Première parution : 13/5/2007 nooSFere