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La Musique de verre

Louise MARLEY

Titre original : The Glass Harmonica, 2000
Traduction de Thibaud ELIROFF
Illustration de Sébastien HAYEZ & Aymeric HAYS-NARBONNE

MNÉMOS , coll. Icares
Dépôt légal : février 2007
Première édition
Roman, 376 pages, catégorie / prix : 21 €
ISBN : 978-2-915159-98-1



Quatrième de couverture
     Londres, 1761. Eilish Eam est irlandaise et orpheline. Afin de subsister, elle joue de la musique dans la rue. Un soir Benjamin Franklin l'entend et l'engage pour l'aider à accorder, puis jouer de sa dernière invention : l'armonica de verre. Mais malgré la passion d'Eilish pour cet instrument et l'amitié de la célèbre Marianne Davies, des fantômes du passé et du futur viennent hanter la jeune fille.
     Seattle, 2018. Erin Rushton est une musicienne prodige, la plus grande joueuse contemporaine d'armonica de verre. Cet instrument connaît un regain de popularité grâce à la vague de nostalgie qui touche le pays — les grandes villes ont été transformées en parcs à thème du passé, dont les pauvres, peu décoratifs, ont été évacuées. Lorsqu'Erin donne un concert, des visions viennent parfois rompre l'harmonie, des images d'une fille étrange, habillée à l'ancienne mode...

     Née en 1952, Louise Marley a d'abord été chanteuse à l'Opéra de Seattle, entre autres, avant de se consacrer entièrement à l'écriture.
     Ses romans, dont La Musique de verre, récompensé par un Endeavour Award, explorent les relations subtiles et naturelles qui existent entre la musique et l'écriture.

     Erin sentit la tête lui tourner. La fille n'avait pas disparu : elle n'avait jamais été là.
Critiques
     Eilish et Erin sont deux musiciennes virtuoses. Eilish vit au XVIIIe siècle, dans les bas-fonds londoniens ; c'est une traîne-misère qui gagne sa vie en jouant des verres (soit en effleurant des soucoupes produisant des notes cristallines), jusqu'à ce qu'un coup de pouce du destin la propulse chez Benjamin Franklin. L'inventeur est à la recherche de talents capables de sublimer sa dernière trouvaille, l'armonica (sans h) de verre. De son côté, Erin vit à Seattle, en 2018, dans une atmosphère d'aseptisation nostalgique ; c'est une star de l'harmonica qui a la plus grande difficulté à concilier carrière et vie privée, ayant notamment à gérer la maladie neurologique dont souffre Charlie, son génial compositeur de frère.

     L'intrigue se poursuit, aussi bien en 1792 qu'en 2018, par plages d'un ou deux chapitres. Les histoires d'Eilish et d'Erin s'enchevêtrent, les personnages du passé répondant de façon troublante à ceux du futur, dans une sorte de quête de l'accord parfait — musicothérapie du corps et des âmes.

     Et le sense of wonder là-dedans ? Il repose dans ce fabuleux instrument, cet harmonica de verre dont on tente en vain d'imaginer la sonorité durant la lecture, qui relie les deux héroïnes à travers les siècles par apparitions interposées. Lien que l'auteur a voulu symbolique et métaphysique, lien qui apparaît en réalité bien artificiel, tant l'effort pour rattacher une partie du roman à la S-F est visible, par l'évocation convenue du proche avenir et les hypothétiques « connexions quantiques de l'espace-temps » qui justifient cahin-caha les intrigues parallèles — prétextes narratifs sans véritable intérêt mais qui, heureusement, ne nuisent pas au thème central illuminant le roman, à savoir la musique.

     La passion, le savoir de Louise Marley (ancienne chanteuse d'opéra) en la matière est évidemment palpable. Le cœur du récit est ici, dans cette fascination pour la musique, dans le sentiment ineffable qu'elle procure.

     Autant l'avouer : malgré d'indéniables qualités, ce roman ne convainc pas. Les sautes de rythme, le délayage de l'action, la mièvrerie généralisée atténuent l'émotion que, par ailleurs, il est censé provoquer. Cet humanisme bon ton, toutes ces longueurs, ces langueurs, ces froufrous de robes, ces maladroites envolées lyriques conviendront peut-être aux lecteurs sensibles. Peut-être... Quant aux autres, amateurs de S-F virile et sanguine, passez votre chemin.

Sam LERMITE
Première parution : 1/7/2007 dans Bifrost 47
Mise en ligne le : 27/10/2008


     Deux époques, 1761 et 2018. Deux musiciennes jouant du même instrument, l'armonica/harmonica de verre. Eilish, misérable orpheline irlandaise, lors de l'invention de cet instrument par Benjamin Franklin ; Erin, presque trois siècles plus tard, pour jouer du Mozart, du Handel, du Rollig... et la musique de son frère jumeau, Charlie. Chacune d'elles va percevoir des visions de l'autre...

     Louise Marley a été chanteuse d'opéra et sa passion pour la musique — évidemment le thème central de l'intrigue — illumine ce très beau roman. En 1761, on y assiste à la mise au point de l'armonica de verre par Benjamin Franklin, un instrument méconnu qui existe bel et bien — voir par exemple l'article sur Wikipédia. Il s'entoure d'Eilish, une jeune mendiante douée d'une oreille exceptionnelle, puis de la claveciniste Marianne Davies. On y voit aussi le jeune Mozart découvrir cet instrument pour lequel il composera quelques oeuvres. En 2018, l'auteur nous invite dans l'univers des compositeurs et des concerts, avec ses contraintes, les désaccords parfois sévères entre chefs d'orchestre et musiciens... Bref, l'Histoire de la musique — basée sur des faits avérés — et le vécu propre de l'auteur nous donnent à eux seuls une fresque originale et passionnante, à même de séduire tout amateur de littérature, d'Imaginaire ou non.
     Cependant, un deuxième thème tout aussi important y ajoute encore un intérêt considérable : celui de la médecine. La maladie est partout. Chez l'enfant miséreux aux jambes tordues que garde Eilish — rachitisme ? Chez le frère d'Erin handicapé par une ataxie de Friedrich, maladie neurologique rare. Chez la jeune patiente psychiatrique qui fait les frais des premiers électrochocs, également inventés par Benjamin Franklin ! Chez les joueuses d'armonica elle-mêmes : on a tour à tour attribué aux vibrations du verre des vertus thérapeutiques, apaisantes, puis des effets nerveux nocifs — au point que l'instrument fut interdit en Allemagne — , effets peut-être liés en réalité au plomb composant le cristal, générant un saturnisme.
     Ces deux thèmes se trouvent rapidement liés de façon étroite à travers une sorte de « musicothérapie ». Tandis que Benjamin Franklin teste les électrochocs, un médecin de 2018 expérimente, lui, des sons binauraux pour essayer d'améliorer l'ataxie de Friedrich. Si ces sons ne sont plus vraiment de la musique — ils sont même irritants — , Charlie va s'appuyer dessus pour modifier également l'oeuvre qu'il est en train de composer — L'envol de Mars, hommage à Greg Bear — , afin de créer un événement musical aussi novateur et scandaleux que le fut Le Sacre du printemps en son temps.
     D'autres thèmes viennent enfin enrichir cette double thématique : la fracture sociale, différente entre les deux époques mais hélas toujours présente en 2018 ; les rapports familiaux, avec notamment une figure maternelle étouffante pour Erin et Charlie ; etc.

     Et l'Imaginaire dans tout ça ? Il réside dans le lien discret qui rapproche les deux musiciennes à travers les siècles. Un lien ténu, que l'auteur rattache à la SF d'une part en situant artificiellement une partie de l'action dans un proche futur — alors que tout pourrait se dérouler de nos jours — , d'autre part en évoquant des connexions quantiques de l'espace-temps. Sans modifier grand chose à son récit, elle aurait tout aussi bien pu choisir le fantastique, par le biais d'apparitions fantomatiques — explication séduisante quand on apprend qu'on a découvert des ossements humains sous la maison occupée par Benjamin Franklin lors de son séjour à Londres — ou encore demeurer « réaliste » en évoquant un « dérangement nerveux » des interprètes, victimes des mauvaises vibrations de l'armonica. On comprend que ce lien science-fictif, simple prétexte narratif pour justifier les deux fils parallèles, n'a qu'un intérêt mineur face aux thèmes principaux du roman que sont la musique et la médecine.

     Ce n'est pas la première fois que Franklin rôde dans l'Imaginaire (voir, par exemple, Les Démons du Roi-Soleil de Greg Keyes). Ce n'est pas non plus la première fois que des musiciennes se hantent à travers les siècles (lire La Mort peut danser, de Jean-Marc Ligny). Mais La Musique de verre sort assurément des sentiers battus, avec des personnages touchants et surtout un vrai sujet, original et superbement traité. Voilà un livre qui, en quelque 360 pages, s'avère plus riche et stimulant que bien des sagas. Hautement conseillé, et ce à tout lecteur, quels que soient ses goûts habituels.

Pascal PATOZ (lui écrire)
Première parution : 18/3/2007 nooSFere

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