Au pays de Medalon s'est jadis livrée une guerre qui a signé l'extinction d'une race ancienne, les Harshini. En fait, il serait plus juste de parler d'extermination, car le seul crime commis par ces êtres pacifiques et sensibles était d'adorer un panthéon de dieux archaïques, et de communiquer avec eux. Débarrassé de ces affreux païens, Medalon est depuis lors sous la coupe des Sœurs du Glaive, une congrégation athée qui tient lieu de pouvoir législatif, exécutif et judiciaire, et secondée par les Défenseurs, son bras armé. La dernière purge visant à faire respecter l'interdiction totale de culte remonte à plusieurs générations, mais depuis quelques années une rumeur aux accents prophétiques circule : l'enfant démon, progéniture du dernier roi des Harshini, foulerait en ce moment même la terre de Medalon. Selon la légende, lui seul serait capable de renverser l'ordre tyrannique des Sœurs du Glaive et de rétablir l'ordre ancien.
Tout ceci, nous l'apprenons assez rapidement tandis que nous suivons la destinée de plusieurs personnages : Joyhinia Tenragan, une politicienne sans scrupules qui, à force d'intrigues, saura se hisser jusqu'aux plus hautes marches du pouvoir ; Tarja, son fils, jeune et brillant capitaine des Défenseurs, qui voue à sa mère une haine farouche ; R'shiel, la demi-sœur de ce dernier, qui achève tout juste son noviciat au sein de la congrégation, et qui n'en déteste pas moins leur mère ; et encore quelques autres, plus secondaires. Nous n'entrerons pas dans les détails de l'histoire aux multiples rebondissements, mais pour faire court, après des démêlés avec leur génitrice, Tarja et R'shiel s'enfuient de la citadelle qui abrite le siège du pouvoir et entrent en contact avec des rebelles à l'autorité des Sœurs. Ils découvrent que les Harshini ne sont pas tous morts et que le culte rendu aux dieux anciens dépasse le stade de la simple foi. En lecteurs avertis, vous aurez bien sûr compris qu'ils ne sont pas étrangers à la prophétie...
Voilà donc une histoire de
fantasy somme toute très classique, mais fort bien exécutée. On y trouve une galerie de personnages charismatiques et nuancés, jetés dans des événements auxquels l'auteur parvient à donner une vraie dimension dramatique. Sans être particulièrement effréné, le rythme est assez soutenu pour que l'on ne s'ennuie pas tout au long des 560 pages, au bout desquelles on arrive sans se forcer (malgré une traduction des plus... étranges). Quoique pas franchement originale — on pense tout de suite à
Zelazny — , la mise en scène de la divinité apporte un plus indéniable à l'univers. Le panthéon est composé de dieux majeurs, qui existent indépendamment des hommes, et d'anciens démons promus dieux dès lors qu'ils sont adorés par un nombre suffisant d'adeptes. Comme chez les Grecs ou les Romains, les notions de bien et de mal n'ont pas cours : les dieux poursuivent leurs propres buts dans lesquels les hommes ne sont que des pions. Certains sont irascibles, irresponsables, vaniteux... Si l'on s'y prend bien, on peut même parvenir à les manipuler, ce qui ouvre des perspectives narratives tout à fait alléchantes. On attendra donc le deuxième tome de ce que l'éditeur nantais annonce comme une trilogie pour voir au non se confirmer la très bonne impression que laisse ce premier roman.