POINTS
(Paris, France), coll. Fantasy n° P1670 Dépôt légal : avril 2007 Recueil de romans, 224 pages, catégorie / prix : 6 € ISBN : 978-2-7578-0233-5 Genre : Fantasy
Brûlée, pillée par les Achéens, Troie n'est plus qu'un souvenir. Enée le parjure, qui a réussi à fuir, accoste avec ses pirates sur les rives d'un monde inviolé. La souveraine des lieux est formelle : l'envahisseur doit mourir. Mais la jeune Mellone, dryade chargée d'appliquer la sentence, s'interroge : Enée est-il vraiment le monstre que l'on décrit ? Pour les derniers êtres magiques de l'Âge d'or, un terrible combat s'engage — peut-être le dernier. En lettres de feu, Thomas Burnett Swann réécrit rien moins que l'histoire de Rome et de sa fondation.
« Un roman enchanteur »
Bifrost
Thomas Burnett Swann (1928-1976) a été critique littéraire, professeur et poète. Écrivain majeur d'une fantasy à base de mythologie antique, plusieurs de ses nouvelles et romans furent sélectionnés pour le prestigieux prix Hugo. On lui doit en particulier La Trilogie du Minotaure et Le Cycle du Latium, dont Le Phénix vert est le premier volume.
André-François Ruaud continue pour son compte le travail de défricheur de l'oeuvre de Thomas Burnett Swann qu'il avait amorcé aux éditions du Bélial' avec la (re)découverte de la trilogie du Minotaure. Il s'agit cette fois d'une saga composée d'un roman et d'une nouvelle, et centrée autour d'Enée, personnage de la mythologie. Arrivé en Italie, à l'embouchure du Tibre, en compagnie de son fils Ascagne, Enée savoure le bonheur d'avoir échappé à la mort et se repose, insouciant. Il doit néanmoins décider de l'endroit où fonder sa ville. Il est malheureusement précédé d'une réputation de monstre assoiffé de sang et de tueur de femmes (alors que c'est le coeur meurtri qu'il a dû quitter tout d'abord sa femme, Creüse, puis Didon, la reine de Carthage). Aussi le peuple de la forêt, dryades en tête, voit-il d'un mauvais oeil débarquer ce vil personnage, surtout si pour bâtir sa ville Enée risque d'empiéter sur la sylve. Et ce n'est pas l'empressement d'Ascagne qui va apaiser les esprits, car malencontreusement, ce dernier tue par mégarde un jeune centaure, Caracole, l'ami de la dryade Mellone...
Lire Thomas Burnett Swann, c'est revenir sur des terres connues, mais toujours différentes. Constamment inspirés par la mythologie grecque (ou romaine, comme c'est aussi le cas ici), ses textes nous racontent des histoires atemporelles, baignées dans le clair-obscur de la forêt. Amour et trahisons, joie de vivre et violence guerrière s'entrechoquent, toutes ces peuplades merveilleuses essayant tant bien que mal de vivre en harmonie avec la nature et avec les êtres humains. Mais même si ces récits puisent à la même source, c'est un bonheur à chaque fois renouvelé que de lire Swann, tant la nostalgie et la subtilité — denrée rarissime dans la fantasy actuelle — marquent ses écrits. En définitive, on conseillera hautement la lecture de ce livre, d'autant plus qu'il est complété par un article de Swann, suivi d'une biographie de l'auteur par André-François Ruaud (lequel, au début de sa carrière, signa dans la revue Fiction un texte intitulé... Dryade !), et qu'il s'agit en plus d'un très beau livre. Décidément, après l'impressionnant Panorama illustré de la Fantasy et du Merveilleux, les Moutons électriques démarrent fort !
Les adeptes de fantasy savent combien ce genre est divers. André-François Ruaud nous l'a assez rappelé dans son essai Cartographie du merveilleux paru aux éditions folio SF. Prenant sa source dans l'Odyssée d'Homère (entre autres), ce genre a connu des développements assez variés, contrairement à ce que pourrait laisser penser la foule des clones du Seigneur des anneaux. C'est à l'un de ces sous-genres moins connu du néophyte que se rattache Le phénix vert. La mythologie construite autour de la guerre de Troie, et notamment du célèbre Enée, en forme la base. Mais un mot d'abord sur l'objet-livre lui-même. Les Moutons électriques proposent en effet avec ce volume un véritable petit trésor : belle police de caractères, format agréable et facile à ouvrir, couverture raffinée bien éloignée de l'habituel sceau « mauvais genres », articles complémentaires illustrant l'œuvre et l'auteur... Tout est réuni pour conquérir le cœur du lecteur !
Tournons donc la première page et découvrons Mellone, une jeune dryade que le Conseil a chargée d'éliminer Enée, un barbare humain fraîchement débarqué pour construire une nouvelle Troie ! Mellone est belle, fougueuse et intelligente. Enée est beau, fougueux et intelligent. Tous deux sont très émotifs : Enée subit la hantise d'un lourd passé, et Mellone craint que sa forêt ne soit anéantie. Que croyez-vous qu'il puisse arriver ?
Le monde imaginé par Swann est plus sensible que violent, moins manichéen que les mondes de la high fantasy chers à Tolkien. Il faut donc chercher l'intérêt du côté des relations humaines, des qualités de cœur, des images et métaphores poétiques comme par exemple, la comparaison de l'amour à une libellule.
Nul doute qu'une petite connaissance de la mythologie permet d'appréhender le texte à un autre niveau. Peu de détails sont en effet donnés sur tout ce qui entoure l'extrait de légende qui est réécrit ici. Par exemple, celui qui ne connaît pas l'histoire de Didon comprendra moins bien les affres d'Enée. Mais bien sûr, dans l'ensemble, le récit se suffit à lui-même.
Nous prenons par ailleurs plaisir à découvrir la vie des dryades avec leurs bourdons porteurs de messages, leurs arbres sacrés, leur dieu Ruminus, leur reine Volumna, leurs armes secrètes, les centaures, les faunes, les lions etc... Tout ce petit monde qui s'ébat au fil des chapitres titille gentiment notre inconscient collectif... Ces 170 pages sont donc vite parcourues, et si leur intérêt dramatique n'est pas proprement confondant, leur originalité nous revigore et nous incite à découvrir les mille et une facettes de la fantasy.
La novella qui suit, intitulée Où est-il donc l'oiseau de feu ? fait appel aux mêmes principes. Elle reprend le mythe de Rémus et Romulus pour le lier à celui de Mellone.
L'ouvrage se poursuit par un article rare, de Swann lui-même, sur l'inspiration des créateurs. Propos intéressants s'il en est !
Enfin, la postface de A.-F. Ruaud, consacrée au travail de l'auteur et de l'éditeur, constitue une agréable conclusion.
Un livre pour les amoureux des livres, donc, proposé par un amoureux des livres. Une démarche à laquelle bien peu d'éditeurs actuels se risquent, tant les nécessités du marchéfont loi. Et c'est dommage !
« Pour Mellone la dryade, la vie s'annonçait paisible : son arbre, ses abeilles, un jour sans doute, un enfant après une nuit passée dans l'Arbre divin. Mais la forêt bruisse soudain d'une terrible nouvelle : Énée, le tueur de femmes, le parjure, le monstre assoiffé de sang, vient de débarquer sur les côtes. Comme toutes ses sœurs, Mellone a juré devant sa reine la perte de l'envahisseur... » Voilà un début de quatrième de couverture qui pose tout à fait l'histoire du Phénix vert, à une exception près, Mellone est une sacrée coquine qui est fort attirée par ceux qu'elle devrait haïr : Enée, le père, et son fils, Phénix, qui pour le malheur de tous a tué par erreur le centaure Caracole en le confondant avec un daim.
J'avais découvert Thomas Burnett Swann en lisant son inoubliable novella « Le Manoir des roses » (version roman à paraître au Bélial') ; puis je l'avais redécouvert avec sa fort recommandable Trilogie du minotaure (le Bélial' — récemment réédité en poche chez Folio « SF »). Le Phénix vert rappelle beaucoup cette dernière œuvre ; il s'agit d'une jolie fantasy, cruelle, un brin érotique (mais aucunement pornographique), mettant en scène les Hommes, toujours prêts à tuer et chasser, et nombre de créatures du folklore méditerranéen : dryades, faunes, centaures, harpies... Le roman (pages 7 à 166) est suivi d'une novella, d'un article de l'auteur et d'une postface d'André-François Ruaud (le tout de très bonne tenue). A noter la jolie traduction de Patrick Marcel, qui rend très bien le style doré et argenté de ce grand monsieur de la fantasy américaine qu'était Thomas Burnett Swann (malheureusement décédé en 1976). Remarquons pour finir que l'objet-livre est inattendu mais plutôt séduisant (à dire vrai, trop pour être commercial) ; ce qui est de plus en plus rare de nos jours...
Enchanteur.
Thomas DAY Première parution : 1/4/2005 dans Bifrost 38 Mise en ligne le : 5/8/2006