De retour d'un voyage d'affaires extraplanétaire, Simon Kress découvre avec amusement que ses piranhas se sont entredévorés et que des deux créatures exotiques qui vivaient sur sa propriété, seule une persiste. En quête de nouveaux familiers pour alimenter ses jeux cruels, Simon va mettre la main sur une colonie de rois des sables, d'étranges insectes intelligents capables de bien des surprises... Six nouvelles — inédites pour la plupart — qui nous rappellent que l'auteur culte du Trône de fer est aussi à l'aise avec les textes courts et incisifs de la science-fiction qu'avec les immenses sagas de fantasy.
George R.R. Martin
Scénariste et producteur au cinéma et à la télévision, il est aussi l'auteur de plusieurs romans à succès (Chanson pour Lya, Armageddon Rag). Le Trône de fer, sa grande saga épique dans la lignée des Rois maudits et d'Excalibur, est actuellement en cours d'adaptation en série télévisée par la chaîne HBO.
Lire un recueil de George R. R. Martin, c'est à coup sûr lire au moins deux, voire trois ou quatre nouvelles ou novellas exceptionnelles. Des textes de SF, la plupart du temps, ce qui tranche évidemment avec l'image actuelle qu'on a du démiurge de Westeros.
Chanson pour Lya illustre parfaitement cette assertion avec la novella-titre, une des plus belles histoires d'amour jamais écrite en SF, mais aussi « Au matin tombe la brume » et son mystère planétaire, « Pour une poignée de volutoines » et ses contrôleurs de cadavres à la recherche de pierres insynthétisables. Si ces trois textes accusent légèrement leur âge (1973, 1971, 1972), ils possèdent aussi le charme particulier, romantique, d'une SF à la charnière de deux époques : l'âge d'or est derrière, mais son sillage reste magique, la SF moderne audacieuse (celle de John Varley et William Gibson, entre autres) fait les cent pas juste devant, on la devine au détour d'une phrase cruelle, d'une description très explicite, d'une idée forte. On trouve dans ces trois perles des accents silverbergiens, vancéens, zelazniens (surtout) — que de bonnes références. « Chanson pour Lya », la novella, fait partie des textes qu'on n'oublie pas, qu'on relit avec passion, découvrant des ponts, des pistes qui nous avaient sans doute échappé à la première lecture. Amour, secte, séduction par la foi, désespoir, altérité, impuissance face à une tragédie en marche ; il y a là une richesse thématique qui manque à bien des romans d'aujourd'hui. Ce qui arrive à Lya, c'est comme voir Eddard Stark se faire [censuré par la rédaction au bénéfice des derniers lecteurs ou téléspectateurs innocents]... Il y a le choc, et une forme de surprise : oui, l'auteur est allé jusqu'au bout, un jusqu'au-boutisme sans outrance, dans la maîtrise parfaite des mots et des images. Au-cun deus ex machina. Ce qui devait arriver survient, tombe, comme il se doit. Le pire est presque la norme. Noire est la couleur.
Des astres et des ombres est un recueil tout aussi riche que le premier. Plusieurs nouvelles sortent du lot : « Les fugitifs » et « Equipe de nuit » qui malgré leur relative brièveté sont saisissantes, « La Tour de cendres » et « Un luth constellé de mélancolie » pour leur romantisme assumé. Le recueil ne contient que des nouvelles de science-fiction, mais dans certaines des images de fantasy pointent volontiers le bout de leur nez, notamment dans « Un luth constellé de mélancolie ». Terriblement violente mais inaboutie, « Sept fois, sept fois l'homme jamais » annonce en partie « Par la croix et le dragon », un des chefs-d'œuvre de l'auteur, et partage quelques points communs troublants avec le film Avatar. Des astres et des ombres contient aussi une curiosité : « La Bataille des eaux-glauques », longue nouvelle co-écrite avec Howard Waldrop, plaisante mais définitivement trop sage.
Les Rois des sables est sans doute le meilleur des recueils J'ai Lu, même s'il contient la très dispensable « Aprevères », qui mêle sans grand succès space opera et clichés de fantasy. On y lira surtout « Par la croix et le dragon », saisissante histoire d'inquisition future d'une richesse inouïe pour vingt-cinq pages seulement ; « La Dame des étoiles », récit de la descente aux enfers d'une femme contrainte à la prostitution dans un étrange astroport, et « Les Rois des sables », dernier et meilleur texte du recueil où un homme riche, d'une arrogance sans limites, achète des créatures extraterrestres fascinantes, les rois des sables, dont il ne s'occupe pas assez bien. Pire, il les affame et les tortures, ce qui ne sera pas sans conséquences. A noter que cette novella a été adaptée en 1995 comme épisode de la série Au-delà du réel, l'aventure continue, avec Beau Bridges (frère de) dans le rôle principal.
Dragon de glace, chez Actusf, est encore une fois un très beau recueil. Contrairement aux précédents, il n'est pas constitué pour majorité de textes de science-fiction ; en fait, il n'en comporte aucun. Si les deux nouvelles de fantasy, « Dragon de glace » et « Dans les contrées perdues », se lisent avec plaisir, surtout la première, ce sont les deux textes d'horreur, « L'Homme en forme de poire », et l'inédit « Portrait de famille », qui frappent le plus fort. « Portrait de famille », qui raconte comment un écrivain utilise un événement atroce dont a été victime sa fille afin d'écrire un livre à succès, ne cesse de monter en puissance jusqu'à la chute, remarquable d'élégance cruelle et de puissance tranquille. On ne peut s'empêcher de penser à Stephen King quand il met en scène des écrivains. On regret-tera toutefois la traduction française de ce texte, médiocre. Rien de catastrophique, mais c'est agaçant.
On l'a vu... dans chacun de ces quatre recueils, il y a toujours au moins deux grands textes. Si vous aimez la science-fiction, et supportez de lire des textes très marqués par les années 70, commencez par Une Chanson pour Lya ; si vous êtes plutôt intéressé par le fantastique moderne, alors Dragon de glace est pour vous. Par contre, autant vous prévenir, aucun de ces recueils ne séduira l'amateur pur et dur de fantasy médiévale, qui pourra néanmoins se rabattre sur Le Chevalier errant suivi de l'épée lige, préludes au Trône de fer, chez J'ai Lu.
Thomas DAY Première parution : 1/7/2012 dans Bifrost 67 Mise en ligne le : 5/12/2015
La mention « inédit » figurant sur la quatrième de couverture est pour le moins cavalière dans la mesure où trois des six nouvelles que contient le recueil ont déjà connu une précédente édition française. « La Cité de pierre » est parue dans le numéro 31 de Bifrost, « Par la croix et le dragon » et « Les Rois des sables » dans l'anthologie Univers 1981. Tous les textes sont des années 70. Entre 73 et 78. « Les Rois des sables » n'étant pas daté ; le recueil l'étant, lui, de 1979. Il apparaît donc comme un troisième tome venant après Chanson pour Lya et Des astres et des ombres qui ont été réimprimés voici peu (tous deux chez J'ai Lu). S'il est plus mince que ses prédécesseurs, il n'en est pas moins à la hauteur.
Aujourd'hui, George R. R. Martin est connu et reconnu grâce au succès de la saga du « Trône de fer », vaste fresque à l'ambiance sombre, évoquant « Les Rois Maudits », dont le douzième volume du saucissonnage français en minces livres d'environ 330 pages vient de sortir chez Pygmalion (éditeur naguère récompensé d'un Razzy pour cette boucherie) sous le titre Un festin pour les corbeaux. Martin avait pourtant écrit des œuvres autrement méritoires auparavant — Armageddon Rag, où l'on suit un journaliste de rock dans sa tentative de ranimer la flamme du flower power en ressuscitant un mythique groupe apocryphe, ou encore L'Agonie de la lumière, unique volume du « Masque de l'Avenir » (depuis repris en J'ai Lu) qui devait concurrencer le « CLA ». C'est dans l'univers de space opera de ce dernier roman que s'inscrivent également Le Voyage de Haviland Tuf (que ne renierait certainement pas Roland C. Wagner), publié en 2006 chez Mnémos, ainsi que Le Volcryn, minuscule roman S-F de 150 pages qui concluait en beauté le collection « Futurama » (2e série) que dirigeait feu Jean-Patrick Manchette aux Presses de la Cité. Le Volcryn, qui n'a jamais été réédité, est d'ailleurs certainement le roman traduit le moins connu de Martin...
Cinq de ces six textes appartiennent à cet univers que l'on découvre à petites touches, texte après texte. « Vifs-Amis » est l'exception. C'est une nouvelle bien dans la manière romantique de George R. R. Martin. Non l'histoire d'un impossible amour mais celle d'un amour qui aurait dû être possible et ne l'est plus du fait de l'incapacité de l'un à se risquer vers l'autre.
« La Dame des étoiles » est un récit noir, façon polar, situé sur les marges de l'œuvre de Martin. On y devine le potentiel de noirceur que l'on verra éclore dans les meilleures pages du « Trône de fer ». « La Cité de pierre » et « Aprevères » sont les deux textes qui s'approchent le plus de la veine principale de l'écriture de l'auteur ; des textes tout empreints de mélancolie, de nostalgie et de poésie, que l'on pourra qualifier de « beaux » textes et qui illustrent à merveille ce pourquoi on peut adorer lire cet auteur.
Plus riche et complexe est « Les Rois des sables ». On y retrouve quelque chose dans l'esprit du Volcryn qui se révèle dans la chute, laquelle n'est toutefois pas le point fort de Martin. Ça suffit néanmoins à faire de ces « Rois des sables » une nouvelle passionnante et originale sans que pour autant Martin ait dû renoncer à sa patte si particulière.
« Par la croix et le dragon », qui ouvre ce recueil, en est tout simplement le chef-d'œuvre. C'est peut-être même le meilleur texte de Martin, et en tout cas celui que je préfère. Martin n'écrit que rarement des textes à forte problématique. Citons « La Nuit des Wampyres », dans Des astres et des ombres, qui contait un raid nucléaire délibérément voué à l'échec mené dans un sinistre dessein politique. Ici, Martin s'intéresse à la « raison » de la religion, exprimant une idée très proche de ce que j'en pense. Un inquisiteur se voit confronté à un hérétique qui a inventé une nouvelle religion réhabilitant Judas, mêlant allègrement des dragons aux Ecritures. Les menteurs créent des religions et des croyances car elles sont un rempart contre le nihilisme engendré par l'entropie, l'absurdité et la vacuité de l'existence. Face à une intolérable vérité, les mensonges de la foi sont un précieux réconfort...
Au final, Les Rois des sables se révèle un excellent recueil — et « Par la croix et le dragon » une nouvelle absolument exceptionnelle qui, à elle seule, vaut bien plus que l'achat du livre, et peu importe qu'elle ne soit pas inédite, il était indispensable, après 25 ans, de la mettre à nouveau à la disposition des lecteurs.