« Tu vois, Marcus, ici les esprits se mêlent facilement aux humains. Ils se fréquentent depuis la nuit des temps. Aucun temple n'enferme les dieux, ils sont trop libre pour cela. Les seuls autels vraiment à leur mesure sont les forêts sans fin et les plaines immenses, où rien n'arrête le regard. Rome a la fâcheuse habitude de poser des bornes dans tous les territoires qu'elle conquiert, de quadriller les cités qu'elle bâtit, de découper en minuscules parcelles les champs et les prés, bref de chercher toujours à soumettre la nature et les hommes à sa volonté. » (p.89)
A l'époque de l'empereur Trajan, le général Servius Tarsa embarque à Londinium avec les six mille hommes de sa légion dans l'espoir insensé de trouver vers l'Ouest de nouvelles terres à conquérir. Après avoir affronté une tempête de sinistre présage, où périssent près du tiers des soldats, la légion débarque sur une terre que, bien plus tard, on appellera le Nouveau Monde...
Ce n'est pas la première fois que Johan Héliot imagine que des romains ont foulé le sol du continent américain. Dans Reconquérants, ils y fondaient même une cité « idéale » après avoir massacré les peuples natifs.
Le destin des romains de La Légion écarlate est cependant très différent. Trop confiants dans leur puissance, les « hommes de fer » cherchent eux aussi à soumettre d'emblée les barbares à la peau rouge, à la faveur du massacre exemplaire de tout un village, femmes et enfants compris. Mais c'est un mauvais choix, qu'ils paieront cher.
La Légion écarlate est d'abord un récit de guerre. Il évoque évidemment les westerns — à commencer par le massacre auquel assiste Dustin Hoffman dans Little Big Man — mais aussi d'autres conflits, comme celui du Vietnam. D'une part en raison de l'affrontement improbable et inégal entre le Goliath suréquipé et le David insaisissable, d'autre part dans l'évolution de la figure du centurion Borsa qui, au bord de la folie, règne en César brutal sur une poignée de survivants. Il rappelle ainsi le colonel Kurtz d'Apocalypse Now — ou d'Au cœur des ténèbres — figure qu'Héliot a d'ailleurs transposé dans un de ses derniers romans, La Lune vous salue bien, sous les traits du Maréchal Rommel.
La Légion écarlate est aussi l'histoire d'un parcours personnel, celui du simple légionnaire Marcus, sorte de John Smith ou de Danse-avec-les-loups avant l'heure, qui se place aux côtés des indiens pour en découvrir la richesse culturelle et morale. Un parcours certes assez conventionnel, mais toujours aussi remarquablement efficace.
Enfin, l'uchronie se teinte aussi de fantastique avec les interventions des dieux Ours et Corbeau, qui hantent encore ce monde neuf et qui sauront venir en aide à Marcus, chacun d'une manière correspondant à leur nature profondément différente.
Western antique d'excellente facture et implacablement mené, La Légion écarlate confirme une nouvelle fois le talent de conteur de Johan Héliot ainsi que l'originalité de cette collection des « Royaumes perdus », décidément très prometteuse.
Pascal PATOZ (lui écrire)
Première parution : 21/10/2007 nooSFere