En Afrique, un grand laboratoire pharmaceutique mène en secret des recherches illégales dans le but de mettre au point un vaccin anti-SIDA...
Thriller médical ancré dans l'actualité, le nouveau roman de Martin Winckler ne flirte que légèrement avec l'anticipation. Composé d'une succession rapide de chapitres ultra-courts qui exposent les destins parallèles des personnages — mais aussi de retranscriptions d'émissions de radios, d'e-mails, d'articles divers, de publireportages — , le récit se révèle dopé par un rythme effréné qui remplit sa fonction première : rendre difficile de lâcher le livre une fois entré dedans. Côté actualité, l'action se déroule en partie au Darfour — où un certain Dante va connaître sa descente aux enfers — et l'intrigue entre en résonance avec certaines affaires biomédicales récentes, comme la plainte déposée par l'état du Nigeria contre Pfizer en juin 2007. Quant à l'anticipation, elle se limite à un vaccin qui devrait bien devenir disponible un jour prochain, et à quelques implants qui, bien que plaçant l'homme aux limites du cyborg, ne sont que les prolongements des pace-makers et des diverses pompes à médicaments déjà couramment implantés chez l'homme.
Mais il existe une autre dimension dans ce livre, plus inhabituelle. Grand amateur de séries télévisées — auxquelles il a consacré plusieurs ouvrages — , Winckler utilise une adolescente d'aujourd'hui pour revisiter et réanalyser la série culte du Prisonnier, « chef d'œuvre télévisionnaire des années 60 ».
L'ensemble offre un roman fort distrayant, quoique non exempt de défauts. Le thriller, par exemple, est un peu mis à mal par des coups de théâtre trop improbables pour être tout à fait honnêtes : le personnage qui permet l'évasion de Dante ou les acteurs du dénouement figurent autant de facilités qui, peu crédibles, nuisent à la tenue de l'intrigue. Winckler le sait et s'en amuse, interpellant même son lecteur dans un aparté (p.295) où il admet que ces « pièces floues » risquent d'égarer la compréhension. Un malicieux clin d'œil indubitablement amusant, mais qui n'arrange pas pour autant les faiblesses de l'intrigue.
Par ailleurs, le fond du propos — l'expérimentation biomédicale « sauvage » dans les pays pauvres — se limite à une dénonciation certes salutaire mais un peu simpliste. Les laboratoires sont d'infâmes multinationales, et leurs dirigeants des êtres cupides et sans scrupules, soit. Mais où en serait aujourd'hui la recherche médicale sans ces laboratoires ? Et certains de ces dirigeants n'ont-ils pas aussi la saine ambition d'apporter leur pierre à l'aventure humaine ? L'expérimentation peut être monstrueuse, oui. Mais comment ferait Jenner, le père de la vaccination, cité dans ce roman, pour mener à bien ses recherches aujourd'hui ? Rendez-vous compte, cet homme a inoculé volontairement une maladie à des êtres humains en espérant en prévenir une autre, sans savoir réellement quelles conséquences en attendre et sans leur délivrer une information exhaustive sur les risques potentiels : nos comités d'éthiques ou de protection des personnes accepteraient-ils un essai thérapeutique aussi imprudent de nos jours ? Evidemment pas. Bref, trouver un juste milieu entre une expérimentation sans conscience et une avancée audacieuse, sans laisser la recherche au point mort en raison du principe du précaution, est un enjeu majeur de la médecine moderne, dont Winckler ne stigmatise que l'aspect le plus noir, à l'aide de « grands méchants » sans ambivalence. Le thème aurait mérité plus d'ambiguité.
D'ailleurs, Winckler discrédite tout essai thérapeutique au cours d'une scène où les médecins apparaissent tous corrompus, sans exception : « Pour une somme pareille, pense-t-il, aucun des praticiens présents ne refusera d' 'inclure' ses patients dans l'étude. » (p.101) Au lieu de faire preuve de pédagogie et d'expliciter le déroulement « normal » d'un essai correct, Winckler caricature et dénonce tant que son lecteur ne pourra plus accorder sa confiance au prochain médecin qui lui proposera de signer un « consentement éclairé ». Il ne restera donc aux chercheurs qu'à se tourner vers des populations plus « naïves »... celles qui ne lisent pas du Winckler.
Enfin, si les nostalgiques du Prisonnier apprécieront l'évocation de la série et le séjour à Portmeirion — le fameux village du numéro 6 — , force est de reconnaître qu'on n'apprend pas grand chose de neuf sur la série, que l'analyse reste assez superficielle et que le rapport avec la partie thriller demeure plutôt artificiel.
Bref, Le Numéro 7 est un livre séduisant, habile, rythmé, non dénué d'intelligence et d'humour, idéal pour se distraire tout en faisant mine de se préoccuper de l'état du monde. On le dévore d'une traite, sans s'ennuyer un instant, et de ce point de vue, la réussite est complète. Mais une fois le roman refermé, le déroulement de l'intrigue et le parallèle avec la série apparaissent plutôt bancals, tandis que le propos demeure trop simpliste pour faire le tour d'une question pourtant préoccupante. Sympathique mais mineur, alors que le sujet aurait mérité un grand livre.
Pascal PATOZ (lui écrire)
Première parution : 18/10/2007 nooSFere