Mevlido
mène une double vie : il est tout à la fois flic et criminel. Un flic qui
s’ennuie, participant mollement à des séances d’autocritiques programmées par
une administration essoufflée, traquant sans zèle les derniers militants d’un
groupe révolutionnaire qui a échoué il y a longtemps. Mais lorsqu’il rentre
chez lui, dans sa banlieue en ruine de Poulailler Quatre, Mevlido se met au
service de ce même mouvement séditieux, un parti dont il ne connaît ni le nom
ni les objectifs, aux mots d’ordres qui semblent sortis tout droit de Slogans de Maria Soudaïeva (traduction
d’Antoine Volodine) et dont les militants sont, pour l’essentiel, de vieilles
femmes à moitié folles.
Le
thème du dédoublement se complexifie lorsque Mevlido, qui avance toujours en
équilibre au bord de la folie, zigzagant entre ses rêves et la nostalgie, se
souvient avoir été incarné dans ce monde afin d’y accomplir une mystérieuse
mission pour le compte du service Action des Organes, une institution qui tient
à la fois de la bureaucratie galactique chargée de surveiller des univers
parallèles et de la transmigration des âmes teintée de chamanisme coréen.
Le
livre est aussi un roman sur l’amour, celui de Mevlido pour une jeune femme
assassinée vingt ans plus tôt et qu’il croît retrouver à travers différents
personnages, un amour qu’il essaye d’oublier dans la relation émouvante qu’il
entretient avec une vieille schizophrène, ou encore dans le désir qu’il éprouve
pour la jeune tueuse idéaliste du parti.
Plus
que dans son histoire, dont on ne perçoit que des fragments depuis les
différents points de vue qu’offrent la personnalité brisée du protagoniste, le
charme des Songes de Mevlido réside
surtout dans son univers, à la fois nostalgique et désolé, et dans sa narration
envoûtante.
Les
différents chapitres offrent une succession d’images, d’ambiances fortes, une
promenade tour à tour triste, belle et angoissante au sein d’un monde en ruine,
dans une ville sans avenir, peuplée de fous, d’oiseaux-mutants et de flics,
mais d’où ni l’humour ni la tendresse ne sont exclus.
Par
toute une série de procédés maniés avec finesse (flashbacks, rêves,
hallucinations...), Antoine Volodine entraîne le lecteur dans son univers
étrange et le désoriente, mais sans jamais le perdre totalement.
Ainsi
du narrateur qui nous raconte Mevlido à la troisième personne, comme s’il était
à côté de lui, un quidam qui prend le même tram que lui, marche dans la même
rue que lui. Et puis, soudain, le narrateur dérape, et parle de Mevlido à la
première personne, comme s’il s’était trahi, comme s’il finissait par avouer
qu’en fait, Mevlido, c’est lui. La belle affaire : Mevlido lui-même ne sait
plus qui il est.
Les songes de Mevlido est une expérience
étrange, parfois déstabilisante, parfois vertigineuse mais qui reste toujours
familière, servie par une écriture élégante et originale, qui traite de
l’amour, de la folie et de la nostalgie de la Révolution. Comme le résume l’un
des slogans du Parti : « RÊVE MILLE ANS, RÊVE MILLE ANS SANS CROIRE QUE LE
SONGE EXISTE ! [...] AIME MILLE ANS, AIME SANS CROIRE QUE L’AMOUR EXISTE ! »
Jean-François SEIGNOL (lui écrire)
Première parution : 11/9/2012 nooSFere