GALLIMARD
(Paris, France), coll. Folio SF n° 300 Dépôt légal : janvier 2008, Achevé d'imprimer : 2 janvier 2008 Réédition Roman, 384 pages, catégorie / prix : F9 ISBN : 978-2-07-031842-1 Format : 10,8 x 17,8 cm✅ Genre : Fantasy
Vlad Taltos est un Oriental, autant dire un rien du tout dans la cité d'Adrilankha dirigée par les Dragaeran, créatures quasi immortelles aux ancêtres reptiliens. Pourtant, il est parvenu à intégrer la Maison Jhereg, moins regardante sur ses origines humaines, et où ses talents d'assassin et sa pratique de la sorcellerie font merveille. Mais la mission qui vient de lui être confiée pourrait bien être la dernière : tuer un ex-grand conseiller de la Maison Jhereg réfugié chez un noble de la Maison du Dragon. Pris entre les feux de ces deux grandes Maisons, ennemis ancestraux prêts à déclencher une guerre de plus de cinq cents ans, Taltos risque de ne pas peser très lourd.
Premier volume des Aventures de Vlad Taltos, l'œuvre la plus connue de l'auteur — une dizaine de volumes écrits à ce jour, pouvant se lire indépendamment —, Jhereg est un livre haletant, plein d'humour, mêlant habilement les codes de la fantasy et du roman noir.
D'origine hongroise, Steven Karl Zoltán Brust, né le 23 novembre 1955, vit aux États-Unis. Grand admirateur de l'auteur des Princes d'Ambre, Steven Brust partage avec Roger Zelazny une même fascination pour la mythologie et l'immortalité, et un goût prononcé pour la fusion de tous les genres de l'imaginaire.
Si vous aimez la fantasy mais que vous faites une indigestion de prophétie, de quête et d'élu, Jhereg a tout pour vous séduire !
Vlad Taltos est un assassin. C'est aussi un humain, dans un monde principalement peuplé de Dragaeran — les humains, ou « Orientaux », vivant au loin, méprisés par les nobles Dragaeran. Ceux-ci sont très grands, vivent très vieux — plusieurs milliers d'années — et se divisent en plusieurs maisons — Dragon, Jhereg, Teckla... — en fonction de caractères reptiliens dont l'origine se situe peut-être en de fort lointaines et obscures manipulations génétiques.
Vlad Taltos se voit donc confier des missions. Cette fois, il doit s'arranger pour tuer un homme qui est intouchable tant qu'il se trouve sous la protection de la Maison du Dragon...
De manière adroite, Steven Brust inverse les règles du roman policier. Il ne s'agit pas de découvrir comment un meurtre a été commis dans un endroit clos, mais de découvrir comment perpétrer un meurtre en obtenant que la victime sorte de son plein gré d'un endroit clos où il est à l'abri et d'où il n'a aucune raison valable de vouloir sortir...
L'intrigue est relativement simple, mais elle tient parfaitement la route jusqu'au dénouement, tout en évoluant dans un monde de fantasy riche et intéressant. On notera par exemple l'opposition entre magie et sorcellerie (« Pour une raison que j'ignore, lorsqu'elle est bien faite, la sorcellerie est tellement plus satisfaisante que la magie. » p.14), le fait qu'il est habituel de ressusciter les morts (« Certains couples tombent amoureux puis finissent pas s'entretuer. Nous avons suivi le chemin inverse » p.77), la possibilité de nouer une relation privilégiée avec un petit reptile télépathe appelé jhereg qui ne se prive pas de commenter sarcastiquement les décisions de son maître (« Lentement, au fil des mois qui suivirent, je développai une immunité à son poison. Encore plus lentement, au fil des années, je développai une immunité partielle à son sens de l'humour. » p.26), etc. Petit à petit, le lecteur découvre les lois complexes qui régissent cette société de castes, les possibilités de la téléportation ou encore les bonnes façons de tuer « définitivement » les victimes — notamment par l'utilisation des armes Morganti qui boivent leurs âmes et que, pourtant, même le plus vicieux des assassins trouve déplaisant d'utiliser...
Aventures astucieuses et plutôt originales, humour malicieux, Jhereg a tout pour plaire si l'on cherche un divertissement de qualité. Trois cents pages à la fois denses et rythmées qui font espérer la publication des autres volumes de la série, constituée d'histoires autonomes que l'on espère toutes de ce niveau.
Adrilankha est une vaste cité où cohabitent, bon gré mal gré, les Dragaerans, originaires de l'ouest, et les Humains, originaires de l'est. Un manteau nuageux de couleur orangée recouvre tout l'Empire dragaeran, empêchant les Humains de distinguer les étoiles nécessaires à leur sorcellerie. Peuple reptilien à l'espérance de vie infiniment longue par rapport à celle des pitoyables hommes, (ils vivent plus de mille ans), les Dragaerans pratiquent pour leur part une magie spécifique. Et à l'art de l'épée des aristocrates reptiliens, s'oppose celui du fleuret de la plèbe humaine.
Car les Humains n'ont pas la dragée haute dans cet empire : peuple émigré — on les nomme volontiers les Orientaux — ils ne constituent que les basses couches de la société. Et même lorsqu'ils parviennent à acheter un titre de noblesse, ce n'est guère que pour progresser faiblement sur l'échelle sociale, sans la moindre reconnaissance des hautes sphères. Dans sa jeunesse, Vlad Taltos en a fait l'amère expérience : son père ayant investi toute sa fortune, gagnée grâce à son restaurant, dans l'acquisition d'un titre, cela n'a pas empêché Vlad de ne connaître que crachats et mépris. Jusqu'au jour où, après avoir esquivé une bagarre dans un bar, il s'est fait remarquer par un Dragaeran un peu moins xénophobe que les autres. Taltos est alors devenu un « travailleur »... euphémisme pour désigner ce qui n'est ni plus ni moins qu'un tueur à gages Entre son association avec Kragar et sa complicité avec la belle Kiera, tous deux des Dragaerans assez ouverts vis-à-vis des Orientaux, Vlad Taltos s'est peu à peu forgé une prospère petite entreprise d'enquêtes et de « protection », ainsi qu'un solide réseau d'informateurs — le tout au service de la Maison du Jhereg.
Eh oui, car la société de l'Empire dragaeran est tout sauf une démocratie éclairée : elle n'est organisée, en fait, que par conglomérats d'énormes sociétés qui ont tout d'organisations maffieuses. Hiérarchie rigide, castes, systèmes de servages et de protections, rapports complexes entre simples humains, grands reptiliens et des sortes de petits dragons télépathes, tension entre magie et sorcellerie : ni pseudo-médiévale ni moderne (et en cela, la couverture de Sorel est une grossière erreur — d'où sortent ces immenses gratte-ciel à l'américaine ?), la société d'Adrilankha possède ses propres rouages ; charge au lecteur de les découvrir petit à petit. Steven Brust, l'auteur, sait visiblement où il va : des allusions à d'anciens événements historiques (l'interrègne et une catastrophe ayant renversé l'Empire), une organisation sociale présentée depuis le petit bout de la lorgnette, tout est fait pour intriguer le lecteur et le plonger en plein cœur d'un univers terriblement autre — et très séduisant.
Ayant accepté un nouveau contrat, Vlad Taltos va pour sa part plonger dans les ennuis : Lord Mellar, qu'il est chargé d'éliminer (ce membre du conseil de la Maison de Jhereg est parti avec la caisse), s'avère être en cheville avec la Maison du Dragon. Conflit majeur en perspective !
Il était grand temps : enfin un éditeur français nous propose-t-il une (très bonne) traduction de Steven Brust. Dans leur opacité habituelle, l'Atalante avait autrefois eu l'idée étrange de traduire le plus mineur des romans de l'auteur, Agyar. Et depuis, plus rien. Alors que Steven Brust s'est imposé depuis nombre d'années comme une plume majeure de la littérature d'aventure, avec un panache et un éclectisme proprement réjouissants. L'excellent cycle de « Vlad Taltos », qui a maintenant dépassé la dizaine de volumes (mais chacun peut se lire indépendamment, rassurez-vous), est assurément son œuvre la mieux connue, mais entre les prolongements qu'il lui a donné dans un passé de cape et d'épée, et ses nombreux autres romans, en cycles ou isolés (dont une agréable fantasy urbaine co-écrite avec Robin Hobb, que Mnémos nous proposera l'an prochain), relevant selon les fois de la science-fiction ou de la fantasy (et bien futé sera qui affirmera que les « Vlad Taltos » appartiennent à l'un ou l'autre genre), Brust ne cesse de surprendre — à la fois par sa prodigalité et par son inventivité. Se revendiquant avec raison comme l'héritier de Fritz Leiber et de Roger Zelazny, mais aussi d'Alexandre Dumas, Steven Brust redonne de bienvenues lettres de noblesse au concept de littérature populaire.