Je le confesse, j'ai ouvert ce livre avec un a priori pas franchement flatteur, peut-être dû à sa couverture si peu sexy, mais plus probablement parce qu'il s'agit d'un hybride de roman noir et de
fantasy. Si certains se sont cassé les dents sur ce délicat mélange de genres (
Mike Resnick,
Sur la piste de la licorne), d'autres ont produit d'honnêtes pastiches (
Glen Cook,
Garrett, détective privé) et quelques-uns ont transformé l'essai en pur moment de bonheur (
Jonathan Lethem,
Flingues sur fond musical). Bref, le sujet avait déjà été plus qu'exploré, et je me suis longtemps demandé ce que cet auteur hongrois de langue anglaise pouvait apporter de nouveau au schmilblick. Or, si les premières pages alignent les poncifs des deux genres, des éléments originaux leur permettent assez rapidement de se fondre l'un dans l'autre en un récit de
dark fantasy bien ficelé. Mea culpa, donc.
Bienvenue dans le Ghetto des fées. Un endroit inhospitalier, étouffant, grignoté jour après jour par le désert rouge qui le borde. Une ville en pleine déliquescence où se côtoient des Elfes noirs tyranniques, des Bergtrolls brutaux, des Sylphides nympho, des Ondines toxico, des Nibelungen salaces et des Kobolds voraces, tous ces êtres créés — et pervertis — par l'imagination des hommes. Ces derniers, proprement divinisés, ont quitté le tableau depuis belle lurette, privant toutes ces créatures de leur raison même d'exister. D'où la déprime ambiante.
C'est dans ce monde à l'agonie qu'Alfar, Elfe noir banni des forces de police — pardon, de l'Escadron noir — , aujourd'hui à son compte, est amené à enquêter sur la mort d'un lutin, le dernier de sa race. Comme de bien entendu, tout le monde va se mettre en travers de son chemin, la mafia locale, l'Escadron noir, les Effrits, ces êtres du désert qui voient en lui l'élu d'une prophétie tordue, chacun y allant de son passage à tabac en règle. C'est donc avec un éternel pansement sur son nez fracturé qu'Alfar subira plus qu'il ne mènera son enquête. Il ne pourra compter que sur son fidèle douze coups chargé de féériballes, des projectiles magiques aux effets imprévisibles mais souvent meurtriers, et un étrange allié aux pouvoirs suspects qui se prétend Elfe de sang.
Ce texte, quoique très référencé, ne tombe jamais dans le piège de l'humour potache, qui aurait tôt fait de changer le pastiche en pochade. Ici tout est noir, très noir. Il est question d'hôpitaux-mouroirs pour camés pleins jusqu'aux yeux, d'industrie du porno, de prostitution sauvage, de torture pas pour rigoler. Une lecture à déconseiller aux plus jeunes, donc, mais tout à fait recommandable aux autres, pour peu qu'un grand écart entre James Ellroy et
J. R. R. Tolkien ne leur fasse pas peur.