La SF et le Polar, c'est une vieille histoire d'amour. Que l'on se souvienne de l'extraper télépathe de
L'Homme démoli d'Alfred Bester, du couple de policiers humain-robot mis en scène par Isaac Asimov dans
Les Cavernes d'acier et
Face aux feux du soleil, de Jan Darzek, le détective du XXI
e siècle imaginé par Lloyd Biggle Jr.
1 et, plus récemment, du très chandlerien Conrad Metcalf dans
Flingue sur fond musical de Jonathan Lethem, du détective de la conscience Frank Gobi (
Le Seigneur du Rim d'Alexander Besher), d'Arthur Darquandier et sa neuromatrice Doctor Schizzo s'attaquant aux
Racines du mal de Maurice Dantec
2.
Nouveau venu dans la famille des Private Eyes de Science-Fiction : Temple Sacré de l'Aube Radieuse (« mais vous pouvez m'appeler Tem »). Son tarif : cent euros par jour plus les frais ; sa particularité : se glisser entre les mailles du filet de la réalité grâce au Talent de Transparence ; son modèle : Nestor Burma, le fameux détective privé des Nouveaux Mystères de Paris de Léo Malet ; son créateur : Roland C. Wagner qui revient au Fleuve après cinq ans d'absence.
Paris, 2063. Cinquante ans après la Grande Terreur primitive, les millénaristes de tout poil abondent, regroupés en Tribus aux Talents divers. Le ciment fondamental qui unit tous ces mutants de la quatrième génération est la Fusion, un exercice spirituel quotidien où tous les individus d'une même famille abandonnent leur ego pour se fondre dans une entité collective, la Psychosphère des Archétypes (chère à Jung et au Jeury des Yeux géants).
Pour sa première aventure, La Balle du néant, Tem doit résoudre un bon vieux meurtre en chambre close. Mettant ses pas dans ceux de son illustre modèle, le jeune héros de Roland Wagner (qui, à vrai dire, rappelle surtout par son inexpérience Jérôme K. Jérôme Bloche, le héros BD de Dodier chez Dupuis) n'a pas son pareil pour attirer les cadavres. Bref, l'écriture est classique et la narration nonchalante, on traîne agréablement du côté du Panthéon et la résolution de l'énigme — purement SF — est astucieuse. Sympa.
Hélas, avec Les Ravisseurs quantiques, l'auteur change de cap et embarque son héros dans une peu convaincante histoire d'univers parallèles où des Seigneurs de la Guerre psychédéliques affrontent les sbires du KGB, le tout via la Psychosphère. Exit l'ombre tutélaire de Nestor Burma et le charme des Futurs Mystères de Paris, on navigue en plein mysticisme — ou délire hallucinatoire, au choix. Malgré les nombreux et surréalistes rebondissements, la narration — curieusement languissante et maniérée, comme si l'auteur voulait s'acheter une respectabilité littéraire — manque de nerf et s'enlise dans les pseudo-ratiocinations fumeuses de Tem.
Mais les aventures de ce drôle de Privé ne font que commencer
3 ! Gageons que, par la suite, Roland Wagner, qui n'est pas à un
challenge près, parviendra à concilier ses admirations littéraires et à greffer l'infosphère des
Yeux géants dans la pipe de ce bon vieux Nestor.
Notes :
1. Voir à ce sujet l'étude d'André-François Ruaud parue dans Bifrost n°2
2. Jamais en retard d'un label, le Fleuve Noir en a même profité pour lancer une nouvelle collection, baptisée de façon très originale Polar SF. Deux titres pour débuter : La Mâchoire du dragon d'Elton Ranne, du classique plutôt bien ficelé dans la lignée du 87e district de McBain (il y a pire comme référence !), et Alice qui dormait de Franck Morisset, un thème ambitieux sur les arnaques de la cryogénisation et un privé original affecté d'une dissociation de la personnalité, mais hélas le roman est fort mal construit, et on s'en lasse très vite.
3. En février sort L'Odyssée de l'espèce, qui a l'immense mais triste privilège d'être le dernier numéro de la collection « Anticipation » ; le numéro 2001, évidemment ! Mais Tem reprendra du service en septembre dans « Métal », la nouvelle collection du Fleuve dirigée par Daniel Riche avec L'Aube incertaine.