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Le Rapport 2026 : Brève histoire du monde futur 1976 - 2026

Norman MacRAE

Traduction de B. BOUDOU & J.-P. KOWALIWSKI
Traduction révisée par C. BILGORAJ

FLAMMARION (Paris, France)
Dépôt légal : 1986
Première édition
Essai, 320 pages, catégorie / prix : 115 F
ISBN : 2-08-064734-2


Critiques
 
     « Brève histoire du monde futur, 1976 — 2026 », tel est le sous-titre de cet ouvrage de politique-fiction (ainsi le présente son éditeur, sans peur des étiquettes), paru à Londres en 1984. La politique-fiction à court terme est un genre difficile : un auteur (en l'occurrence auteure) français n'a-t-il pas décrit récemment un gouvernement de cohabitation dans lequel le seul ministre socialiste survivant n'était autre que Charles Hernu ? Ici, Mikhaïl Gorbatchev est décrit comme « un intérimaire très désireux de se démettre en faveur de quiconque prendrait plus énergiquement la direction du Parti ». Deux ans après la rédaction de l'ouvrage, cette opinion semble évidente, pas vrai ? Ici, à l'aube du XXIème siècle, les Philippines sont toujours « une des pires dictatures du Sud-Est asiatique ». Mais là, sait-on jamais : cela pourrait en effet être à nouveau le cas...
     Norman MacRae est économiste, brillant nous dit-on, sous-directeur de THE ECONOMIST, et fut l'un des co-auteurs de La troisième guerre mondiale du Général Sir John Hackett. Ces « qualités » ne me semblent pas suffisantes pour faire un bon auteur, mais il faut juger sur pièces. Surtout, Norman MacRae est d'un optimisme confondant. En 2026 règne la liberté individuelle la plus totale. L'individu est ainsi « libéré » par le micro-processeur (dada de J.J.S.S., également) de toutes contraintes. On travaille à l'âge que l'on désire, six mois de vacances sont courants dans les professions « ennuyeuses », les menaces de guerre ont disparu et les pénuries se sont retournées comme un gant en corne d'abondance ! Qui dit mieux ? Optimisme confondant ? Non : provocateur.
     Le lecteur et amateur de S.F. qui partage plutôt les opinions exprimées par Jean-Pierre Andrevon dans le n° 6 de SCIENCE-FICTION sous le titre « pourquoi êtes-vous si pessimiste ? », risque de prendre MacRae pour un doux dingue, héritier pur et dur des pires écrivains du filon « hard-science » américain. Aussitôt, d'ailleurs, le même lecteur et amateur, alerté par cette comparaison, se posera quelques questions sur les positions idéologiques du même MacRae.
     Nous serions donc en présence d'une utopie. En témoigne dès l'ouverture du livre une note concernant la disparition du vocabulaire de mots tels que « attaque à main armée », « sexisme » ou « ministère de l'Intérieur », et la nécessité d'expliquer ces concepts au lecteur de 2026 (pardon : il n'y a — pas encore ? — de distinction entre celui qui consulte un écran et celui qui lit un livre imprimé). Mais dès cette même ouverture, chapitre destiné à résumer les événements historiques majeurs du XXème siècle, apparaît une très nette tendance au libéralisme ultra, allié à un esprit passablement réactionnaire (coucou ! voici l'idéologie !) : ainsi du résumé grossier de l'agitation des années 60 et des sentiments des travailleurs face au chômage. Le critique qui croit encore, malgré tout, aux vertus de la solidarité et des conquêtes sociales n'a tout d'un coup plus fort envie de continuer sa lecture.
     Mais ceci ne serait rien si le livre contenait de véritables idées neuves (même politiquement suspectes), sous une écriture agréable. C'est bien simple : i ! n'y a pas d'écriture du tout ! La télématique ne crée pas l'écrivain, et l'ordinateur n'est pas encore doté du souffle épique !
     Quant aux « idées » censées rendre possible le monde idyllique de 2026, on pourrait en dresser un catalogue raisonné. Le changement de politique USA/URSS qui ouvre la voie au désarmement est censé venir exclusivement d'un miraculeux changement à la tête de l'URSS, où les responsables deviendraient soudainement ouverts et conscients de leurs erreurs passées. Les USA assistent à cela en spectateurs satisfaits. Vous avez dit gadget ? Les vues de MacRae sur les pays du Tiers-monde sont aussi simplistes et carrément méprisantes que son jugement des intellectuels occidentaux. Le désarmement ? Une apologie de l'I.D.S. reaganienne. Et soudain, pointe le nez de l'économiste : toute la logique du système futur, et sa réussite, sont basées sur les progrès dus à la libéralisation totale et sauvage des marchés. L'économie comme sauveur du monde ! Laissez faire et tout ira nécessairement bien. La privatisation des services publics engendrera l'utopie. Voilà qui plairait à MM. Chirac et Martens, sans parler de Thatcher... Curieux que ce livre paraisse peu après la victoire de la droite en France : comme pour préparer ses lecteurs aux « inévitables » décisions économiques du gouvernement. L'esprit commercial à la clé de tout : ce qui ne va pas aujourd'hui ira bien demain si vous en faites une entreprise commerciale... Le monde de 2026 est donc issu d'un système, ou plutôt d'un modèle mondial, qui va vers un déclin irréversible du rôle de l'État, en saupoudrant le tout de critiques acerbes de la classe politique, responsable de tous les maux alors que les chefs d'entreprise et les économistes n'attendent qu'une chose : sauver la planète ! Ben voyons. Vous avez dit simplisme ?
     Rien n'échappe à MacRae (hormis les conflits du monde arabe, dont il n'est fait mention nulle part, sauf par raccroc) : ses chapitres dépeignent la mutation des emplois, le recul des gouvernements, l'avènement de la santé pour tous, le génie génétique, l'énergie et les minerais en abondance. Il se persuade enfin de l'impossibilité d'attenter au libre-arbitre de chacun, et donc de l'absurdité des visions pessimistes de l'avenir du style 1984. Le Monde de 2026 est si parfait qu'il ne peut qu'intéresser les « autres » : le dernier chapitre s'intitule « Des voix venues d'ailleurs ». La boucle est bouclée.
     Face à la moindre ligne d'un véritable écrivain de S, F. doté d'un minimum d'imagination, la prose de Norman MacRae serait plutôt plate... En définitive, cette banalité du style empêchera peut-être la diffusion de ces idées libérales de choc. On peut oublier Norman MacRae.

Dominique WARFA (lui écrire) (site web)
Première parution : 1/8/1986 dans Fiction 377
Mise en ligne le : 12/10/2008

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