Les livres « écrits » de Topor sont rares, non spécialement parce que qu'il y en a peu en quantité (il en a publié une bonne dizaine en vingt ans de carrière
1, dont
Le locataire chimérique, dont Polanski a tiré son film, et un succulent recueil de chansons,
Rumsteak morceaux choisis, sorti il y a quelques années au Dernier Terrain Vague), mais parce qu'ils sont écrasés par son œuvre graphique. Aussi est-ce un bon petit plaisir que de lire cette
Plus belle paire... (au titre superbe et alléchant, encore que la nouvelle qui en porte le titre ne soit pas, il s'en faut, la meilleure du recueil), qui comprend cinquante-deux textes allant entre quelques lignes et quelques pages. Je viens de préciser que les textes de Topor sont « écrasés » par ses dessins : on le comprend ; Topor possède un univers graphique unique et d'une force terrifiante, qui ne se retrouve guère dans son écriture. De manière assez surprenante, les contes et nouvelles réunis ici (et qui représentent dix ou quinze ans d'une écriture que l'on imagine nonchalante) sont plutôt aimables en ce qui concerne le style, moralistes pour ce qui est de leur premier degré en tout cas, et très irréguliers en ce qui concerne la qualité...
Par exemple, les diverses histoires courtes que l'auteur estampille de l'adjectif « panique » (Studio panique, Restaurant panique, etc.) pour cligner de l'œil vers le mouvement dont il fut l'un des fondateurs, ne sont guère que des bluettes un peu faciles. Quant aux short-short, elles vont du carrément inutile au tout à fait réjouissant, comme Very selected old product, 9 lignes où un baron et une baronne font venir un expert pour analyser une matière qui se révèle être « de la merde, et très ancienne. Je suis preneur ». (Oui, là c'est vraiment du Topor comme on l'aime en ses dessins). Mais c'est souvent dans la nouvelle d'une dizaine de pages qu'il se montre le meilleur. Avec des thèmes récurrents, comme le cinéma (Dr Jekyll et Mrs. Hyde par exemple, hilarante description d'un film fantastique de série Z), la littérature surtout, comme Blind date, étude de mœurs très pointue. En d'autres occasions Topor flirte avec le fantastique le plus classique (Tout est bien qui finit bien, sur le thème éprouvé de l'enfant perdu), d'autres fois encore il est tout à fait inclassable, donc purement lui-même. Citons La Rookerie, où en jouant sur le mot Manchot (l'animal et l'amputé), il nous livre un étourdissant ballet d'aphorismes éclair. Du genre : Le manchot accusé d'avoir étranglé la femme du boucher de pont-Saint-Esprit n'était que le cerveau de l'affaire. Ou encore : Quand les manchots jouent aux dames, ils doivent souffler pour jouer.
Il y a donc à boire et à manger dans ce recueil. Mais au total c'est un repas qui sort de l'ordinaire : un restaurant (panique) où on espère revenir un jour ou l'autre...
Notes :
1. Et j'espère que nos plus anciens lecteurs se souviennent que Topor donna, dans les années 60, plusieurs nouvelles à FICTION !
Jean-Pierre ANDREVON (lui écrire) (site web)
Première parution : 1/5/1986 dans Fiction 374
Mise en ligne le : 16/11/2008