Rudolph von Bitter Rucker, Américain et drôle de mathématicien. Il écrit de la science-fiction, domaine que lui-même qualifie d'aussi méprisé que le spiritisme. Or, selon son préfacier, ce docteur en logique mathématique croit apparemment que consulter le Yi King pour produire des « coïncidences » significatives est plus efficace que de consulter, par exemple, Homère, la Bible ou les livres d'Isaac Asimov.
Mais un homme paradoxal comme ce Rudy Rucker était en fait indispensable pour que la quatrième dimension, sujet troublant et ambigu, écartelé entre logique et pure fiction, voire aberration, trouve son maître.
Son livre multiple, sérieux et drôle, fait de recoupements continus entre croyances, et concepts et anecdotes et théorie, constitue un beau jeu de miroirs où la 4-D pouvait, sans grand doute, seulement former son image. On y apprend d'emblée que ce concept, plus qu'une idée, existe vraiment. On y lit cependant qu'il n'est pas une, mais des quatrièmes dimensions dont les appellations varient. Parmi elles, l'hyperespace cher à bien des fictions. Et que ces dimensions supérieures, en fin de compte, sont une...
On peut lire ce livre de A à Z, mais aussi s'y promener. Y pénétrer par jeu, comme en une des grandeurs qui l'occupent. On regarde les dessins de David Povilaitis, illustrations parlantes qui renvoient donc au texte, lui-même saupoudré de joyeux problèmes. Ainsi sur la Trompette de Gabriel, à longueur infinie mais surface finie. Ou encore ces deux sous-questions articulées au postulat de voyage dans le temps : comment, grâce à lui, pénétrer dans une pièce hermétiquement close ; comment utiliser le voyage dans le temps pour retirer le repas de l'estomac d'une personne sans la déranger ? (réponses pages 254-55)
L'esprit français, n'est-ce pas, surtout depuis que Carroll est européen, a les idées pour domaine de prédilection. Et la SF, le fantastique francophones, se nourrissent des distorsions que font subir à la logique de purs esprits. Plutôt que de l'attirail technologique cher au mainstream anglo-saxon, sous le faix duquel titube un esprit latin.
Aussi la traduction française de The Fourth Dimension constitue-t-elle un autre paradoxe : c'est d'Outre-Atlantique que nous arrive, sous la forme digeste affectionnée là, l'exposé de nos préférences. Et il est fort possible que des écrivains — voire d'innocents et simples lecteurs — , y trouveront de quoi alimenter des fictions courbes et strictement françaises. Rudy Rucker se recommande à tout amateur de folie raisonnée.
Alain DARTEVELLE
Première parution : 1/4/1986 dans Fiction 373
Mise en ligne le : 16/11/2008