Le XXème siècle a donné naissance à la prospective dans l'intention de s'armer contre l'incertitude. Mais il n'a pas inventé l'idée d'anticipation. A travers les siècles, de nombreuses conjectures ont alimenté les réflexions sur l'avenir, que ce soit en littérature, en philosophie, en sociologie ou encore en politique. Ces figures de l'avenir sont constitutives de la pensée anticipatrice.
De saint Augustin à nos jours, de la philosophie antique à la science-fiction, Bernard Cazes nous offre un panorama des différentes attitudes tenues par l'homme face à l'avenir. Il nous montre ainsi que, d'une époque à l'autre, même si les hommes progressent et se dotent d'outils de plus en plus élaborés pour maîtriser leur avenir, les problèmes sur lesquels ils se penchent sont souvent récurrents et les erreurs qu'ils commettent se reproduisent. L'enjeu est d'autant plus grand pour celui qui s'intéresse à l'avenir de comprendre ces mécanismes ; ils nous rappellent que face à l'avenir, entre hasard et nécessité, l'homme doit faire preuve à la fois d'humilité intellectuelle et de volonté.
L'Histoire des futurs, publiée pour la première fois en 1986 et jamais rééditée depuis, n'a aucun équivalent en langue française ou en langue anglaise. Cette nouvelle édition, complètement revue, prend en compte les développements qu'a connus la prospective au cours des vingt dernières années. Son auteur, qui fut longtemps chargé des études à long terme au Commissariat au Plan, participe aujourd'hui activement à la vie des revues Futuribles, Sociétal et Politique Etrangère.
Les amateurs de spéculation se frotteront les mains devant cet ouvrage. Ce n'est pas un roman (et pourtant...), ce n'est pas un traité philosophique (bien que...), ce n'est pas un recensement non plus. Le sous-titre « Les figures de l'avenir de Saint-Augustin au XXIe siècle » en donne le champ d'application. En somme, comment a-t-on tenté, depuis les époques de divination, par les techniques des diverses mancies (oniromancie, géomancie, taromancie etc.) de prévoir soit son propre avenir, soit l'avenir des sociétés. Si l'on tend en général à dissocier la prévision scientifique (que le XIXe aurait inventé, et nommé donc selon les cas anticipation, futurologie, prospective etc.) de l'astrologie, par exemple, on se trouve en plein anachronisme mental. Pourquoi Kepler obtenait-il de l'empereur Rodolphe des subsides, alors qu'il s'occupait de mesurer les orbites célestes ? Parce qu'avec ces chiffres plus précis l'empereur pouvait demander à ses astrologues d'affiner leurs prévisions. Mais l'ouvrage de Gazes n'est pas simplement anecdotique ou historique. D'un côté il fait la part belle aux ouvrages de SF, en tant que matière illustrant son propos (et il est curieux de relire dans cette perspective quelques ouvrages fort connus et goûtés pour d'autres raisons). D'un autre côté, il nous amène à mieux saisir les techniques actuelles d'élaboration de scénarios, et donc à mieux saisir les éventuelles décisions politiques, leur logique et leur base d'irrationnel. D'autant qu'à la prospective scientifique, qui est la mieux maîtrisée, s'adjoint le désir de prospective sociale. Et c'est là que se jouait naguère encore une certaine SF. Un ouvrage fort clair, très riche, et qui se complète éventuellement par Les travailleurs du Futur, d'Annie Battle, dans la même collection, celle des « Visages de l'Avenir ».