Don Lorenjy s'était fait connaître avec Aria des Brumes, premier roman remarqué publié chez Le Navire en pleine ville, dans la collection « Sous le vent » destinée aux adolescents. C'est désormais sous son nom véritable, Laurent Gidon (pour connaître l'origine du pseudonyme Don Lorenjy, amusez-vous donc avec les syllabes du vrai nom), qu'il nous revient, avec un livre pour adultes, aux éditions Mnémos.
Djeeb le Chanceur est un homme étonnant. Il arrive à Ambeliane, cité côtière, en propriétaire d'un navire marchand. Mais il apparaît bien vite qu'il ne connaît rien en matière de navigation maritime. Et ses premiers pas dans Ambeliane vont l'amener de Charybde en Scylla, à mesure que son tempérament libre et frondeur le fait défier les grands de la cité. Heureusement pour lui, sa bonne fortune ne le lâche jamais : il a en effet un sorte de don naturel, qui lui permet de tirer toutes les conséquences de l'observation de son environnement, et d'influer discrètement sur les événements pour, de toutes les alternatives possibles, choisir celle qui servira le mieux ses intérêts.
A la lecture de Djeeb le Chanceur, on pensera immédiatement à un maître de la science-fiction, auquel Gidon rend clairement hommage ici : Jack Vance. Son Djeeb emprunte en effet beaucoup à certains personnages de Vance, Cugel en tête. Comme lui, il sait se dépatouiller de situations pour le moins compromises, il joue sans vergogne de l'humour et du sarcasme, et a le don pour vivre des aventures complètement invraisemblables. Laurent Gidon sait à merveille évoquer le plaisir jouissif qu'on a pu éprouver à lire les aventures de l'Astucieux. Et si jamais certains doutent encore de la référence à Vance, qu'il suffise de signaler l'existence d'un personnage, Magnus Rivolt, dont le nom est quasiment identique à celui d'un des protagonistes de l'auteur américain, Magnus Ridolph.
Toutefois, il ne faudrait réduire Djeeb le Chanceur à un simple hommage, aussi réussi soit-il. Car Gidon a su trouver sa voix, une voix originale, qui passe avant tout par un style assez impressionnant : la langue est belle, évocatrice, fleurie, surprenante, en un mot elle sert parfaitement le personnage central et ses aventures. Et même si de manière ponctuelle elle est tellement travaillée qu'une certaine lourdeur se fait sentir, elle reste éminemment lisible et confère à cet ouvrage un ton très personnel.
Tout style ne saurait néanmoins faire oublier le contenu du livre. Et là, malheureusement, Gidon n'a pas su l'élever suffisamment. En effet, Djeeb arrive à Ambeliane, y vit des aventures palpitantes... et c'est tout. Il n'est nullement question de remettre en cause le déroulement des événements, puisque l'ouvrage est rythmé comme il sied à toute fantasy qui se respecte, mais plutôt de se dire une fois le livre lu : « Tout ça pour ça ? ». Au fil des pages, certaines hypothèses avaient été suggérées qui auraient rajouté de l'intérêt (qui est vraiment Djeeb ?), mais elles ne correspondent à aucune réalité. De telle sorte qu'on reste un peu sur sa faim, comme si on avait eu affaire au premier roman d'une série
Mais que ce défaut, qui ne ressort que lorsque l'on a terminé la lecture et pris un peu de recul, ne vous empêche pas de savourer Djeeb le Chanceur pour ce qu'il est : une tranche de vie, tourmentée et drolatique, dans l'existence d'un personnage vancien en diable, et servie par une écriture inspirée. Laurent Gidon/Don Lorenjy a sans conteste réussi son passage au roman adulte.
Bruno PARA (lui écrire)
Première parution : 13/7/2009 nooSFere