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Neige

Anna KAVAN

Première parution : Londres, Royaume Uni : Peter Owen publishers, 1967
Traduction de Marie-Noëlle BLUNDEN & Ronald BLUNDEN

STOCK (Paris, France), coll. Cabinet cosmopolite
Dépôt légal : 1975
Première édition
Recueil de romans, 562 pages, catégorie / prix : 38 F
ISBN : 2-234-00122-6
Format : 21 cm (hauteur)
Genre : Imaginaire



Pas de texte sur la quatrième de couverture.
Critiques
 
     Un personnage dont on ne sait pas le nom cherche, dans un, puis un autre pays, jamais précisés, une fille qui le hante et dont une seule particularité est mise en relief : Sa chevelure (...), d'un blanc argenté, celle d'un albinos, étincelante comme le clair de lune... Parfois un troisième personnage se dresse entre le quêteur et l'objet de la quête ; on n'en connaît que la fonction : Gouverneur. Le monde où se déroule cette recherche a une particularité : il est peu à peu envahi par les glaces, cataclysme lent qui provoque la désorganisation sociale, la guerre, l'invasion des barbares.
     Nul « effet de réalité » dans la trajectoire de ces trois personnages en terrain mouvant, nul ancrage en thématique de science-fiction dans les descriptions lointaines de la montée du froid : Des étoiles de glace éblouissantes bombardaient le monde de rayons qui faisaient éclater et pénétraient la terre, envahissant son sein de leur froideur mortelle... Le roman d'Anna Kavan fuit aussi bien la psychologie que le réalisme, il nie aussi bien les règles de la construction que celles du simple suspense : il n'avance pas par rebonds, par incidences ; il progresse par dérobades, par dérapages, et le plus juste serait d'écrire qu'il tourne en rond, suivant en cela la quête circulaire de son héros sans identité.
     En fait, la tonalité du récit est celle d'un rêve teinté de cauchemar (l'apaisement de la neige interrompu ça et là par des scènes de violence d'où gicle le sang), un rêve aux péripéties récurrentes qui renvoient toujours le narrateur (et par conséquent les lecteurs) aux mêmes repères : mobiles, comme ces voyages vers nulle part en train, en bateau, en voiture ; immobiles, comme ces arrêts dans des hôtels louches ou dans des chambres luxueuses appartenant au palais (aux palais ?) du Gouverneur, tantôt protecteur, tantôt ennemi, tantôt supérieur hiérarchique, puisque, par un de ces retournements dont le roman est coutumier, il arrive que le récitant se retrouve brusquement chef d'armée. Dans quel but romanesque, ces changements insolites de perspective ? Il est difficile de l'analyser, sinon pour hasarder que le cours du récit n'a d'autre logique que celle du rêve, n'a d'autre finalité que ce dévidement en cercles concentriques, dans lesquels le lecteur se perd, s'englue, manque de se dissoudre.
     Comme le note Brian Aldiss dans sa préface : « On y passe d'une scène « réaliste » à une scène mythique, d'une cauchemar vivant à une hallucination. Il ne s'agit pas d'un roman réaliste à l'ancienne mode, mais d'une aventure métaphysique dont le décor n'est pas peint pour imiter la réalité, mais pour révéler, en s'écartant, quelque chose de plus terrifiant. »
     Quelque chose, soit... Mais quoi ? La principale fausse piste à écarter serait que l'auteur a voulu dépeindre une « fin du monde par le froid » — à la manière de ses compatriotes Michael Coney (Les enfants de l'hiver), Michael Moorcock (Le navire des glaces), Kenneth Harker (Les fleurs de février) ou John Christopher (L'hiver éternel). Nous sommes ici loin de l'hyperréalisme coupant de Ballard (qui, lui, est homme des cataclysmes chauds), mais beaucoup plus près des angoisses oniriques et métaphoriques de Kafka. Et l'endroit sans nom où veut nous précipiter Anna Kavan (un pseudonyme dont on ne peut manquer de remarquer le K agressif) n'est pas la mort du monde, mais bien plutôt sa propre mort au monde — sa dissolution.
     Retour à l'auteur : Citoyenne britannique née en France (en 1901) et morte en Angleterre en 1968, Anna Kavan a vécu dans sa jeunesse l'internement psychiatrique. Un premier roman est né de cette expérience, Asylum pièce, en 1940. Puis cette dame fluette et distinguée (c'est ce que rapporte Aldiss, qui la rencontra peu avant sa mort) se laissa prendre au piège de l'héroïne. C'est par elle qu'elle mourut, une seringue au pied de son lit.
     On comprend mieux, nanti de ces détails, la genèse, sinon la signification, de Neige, qui fut son ultime livre et parut en France en 1975. Les méandres cotonneux du récit peuvent-ils s'expliquer par les vertiges de la drogue — ou au contraire l'écrivain a-t-il maîtrisé jusqu'au bout son matériau littéraire ? Il est curieux qu'Aldiss dans sa préface ne pose pas la question. Peut-être parce qu'il était impossible d'y répondre — et au demeurant peu importe.
     Reste significatif ce titre : Neige (et on sait que la neige, c'est bel et bien l'héroïne), alors que, curieusement, l'ouvrage en anglais s'appelle Ice. Pour une fois la traduction, plus que fidèle, nous offre un redoublement de sens : cette dissolution dans la neige (à la dernière page du roman, le narrateur et l'objet de sa quête, enfin réunis, s'enfoncent en voiture dans la blanche tourmente, apaisés : J'étais presque heureux (...) Le monde semblait déjà mort. Cela n'avait aucune importance), comment n'y pas voir la liquéfaction pleinement assumée de l'écrivain dans les mirages de l'héroïne ? Génératrice de cauchemars, cette fin n'est pas redoutée pourtant ; parlant de la drogue dans une de ses nouvelles. Kavan écrit : « Une fine poudre blanche n'est pas répugnante : elle semble pure, elle scintille, les purs cristaux blancs étincellent comme de la neige. »
     Neige en dedans, neige en dehors. Et Aldiss d'ajouter : « Telle était la glace qui circulait dans ses veines et avec laquelle elle avait fait alliance ». Une alliance sans doute douloureuse, qui explique l'insistance avec laquelle l'auteur, par la bouche de son narrateur témoin, revient sans cesse sur les morts imaginaires de la belle fuyante aux cheveux blancs : Je regardai la glace monter, engloutir ses genoux et ses cuisses, vis sa bouche s'ouvrir — un trou noir dans le visage blanc — , entendis son cri d'agonie perçant. Je ne ressentais aucune pitié pour elle...
     Doit-on lire (entre les lignes) : aucune pitié pour moi, Anna Kavan, dont je construis et anticipe la mort ? Peut-être. Mais le mieux en tout cas est d'en rester sur cette image composite : la mort dans la neige et par la neige d'une petite femme sereine poursuivie par son double sarcastique dans un monde déserté. Loin de toute morale intimiste ou sociale, voilà une fascination vraie.

Jean-Pierre ANDREVON (lui écrire) (site web)
Première parution : 1/11/1981 dans Fiction 323
Mise en ligne le : 16/3/2009

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